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Critique de Seraphita


« Il a refait sa vie », « N'oubliez pas d'éteindre vos portables », « On ne vous fait pas fuir, au moins ? », « Faut arrêter ! », « Y a pas d'souci », … Voilà autant de petites expressions anodines que tout un chacun a pu prononcer, presque par inadvertance, au détour d'une conversation. Ces tournures langagières sont-elles si communes ? Philippe Delerm décide d'y consacrer ici un recueil et se propose d'attribuer à chaque expression une signification psychologique, le tout de manière très plaisante et avec une plume toujours aussi travaillée.

Certaines nouvelles peuvent prêter à (sou)rire. Dans, « Par contre, je veux bien un stylo », la scène se déroule au restaurant, à la fin du repas. L'un des convives, faisant preuve d'une grande libéralité, se décide à régler seul la note. « Tout en poursuivant la discussion, il a sorti son carnet de chèques. » (p. 87) L'expression « Par contre, je veux bien un stylo », fleurit alors sur les lèvres du généreux convive, « légère en apparence, discrète, si naturelle dans le feu de l'action, mais si lourde de sens ». C'est ce sens qu'explore ensuite très finement l'auteur, avec une faculté remarquable dans l'analyse des relations humaines, servie à merveille par un style ciselé.

D'autres nouvelles invitent le lecteur à un peu plus de réflexion, à l'image de « Ça devrait toujours rester comme ça » et sa suite « J'ai horreur de cette phrase ». Voilà une expression réservée le plus souvent « au petit de l'homme », qui peut sonner comme un « voeu extatique et condamné (…) Une formule des plus ambiguës, qui mêle au superlatif de l'adoration du présent une nuance de regret s'adressant à la fois au futur et au passé. » (p. 51) Quels non-dits sont inscrits à la marge de cette expression somme toute banale ? Pour Philippe Delerm, « C'est un salut à la vie qui se plaint de la vie. » (p. 52) Il poursuit sa réflexion en explorant une expression qui souhaite s'inscrire en faux par rapport à la précédente : « J'ai horreur de cette phrase ». « Une composition en abyme s'ouvre là. » (p. 53) Delerm l'explore habilement et conclut par un questionnement qu'offre le bébé à l'adulte : « Même dans sa jovialité épicurienne, le bébé n'en pose pas moins une question métaphysique. Comment faut-il aimer en lui le temps qui passe ? » (p. 55)

La dernière nouvelle m'a semblé poignante, explorant, à travers une expression entendue dans la bouche d'une personne âgée « V'là l'bord d'la nuit qui vient », la question d'une trouvaille langagière qui offre matière à développements poétiques et réminiscences nostalgiques : « le bord de la nuit. La nuit devient une matière, un tissu, les heures s'habillent et nous mettent un manteau. Nos mouvements doivent suivre, s'envelopper dans cette amplitude du ciel, marcher à l'amble. » (p.94)

Un travail d'orfèvre qui vise à dénicher les non-dits, à la marge d'expressions anodines.
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