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Critique de LaBiblidOnee


Je poursuis mon exploration du gonzo tout en légèreté, avec ce roman. Si de prime abord la trame ne semble pas d'une originalité démente, le récit se chargera de nous apporter la touche de folie attendue : Alley, jeune écrivaine intelligente, se dit « prête à tout » pour rompre avec son schéma familial et faire carrière dans l'écriture. Mais trouver un éditeur n'est pas chose aisée et elle ne trouve aucun autre emploi qui vaille le coup. A force de stages non-rémunérés dans l'édition, on lui propose de devenir l'assistante d'un auteur qu'elle admire profondément : Walker Reade (prix Pulitzer, encensé pour son roman Bikers…). Malgré la réputation et le mode de vie complètement… gonzo de cette célébrité, elle accepte sans hésiter.


Commence alors le récit de ses folles journées et de ses folles nuits, durant lesquelles notre Gonzo Girl avait pour mission de :
1/ gérer la gonzomania fantasque de l'auteur sans la réprimer pour de ne pas se faire virer,
2/ stimuler la créativité de l'auteur par tous moyens (idées, substances, boissons, activités, etc…),
3/ l'aider à écrire le roman qu'il n'arrive pas à achever, au point d'être fauché alors qu'il vit au dessus de ses moyens (tel un drogué célèbre qui a une réputation d'auteur rebelle à tenir - et qui de toute façon, ne sait plus se comporter autrement et n'en a pas envie).
Entre goujat congénital et enfant prodige, entre patron tyrannique et homme en perte de repères, notre coeur - et celui d'Alley - balance.


****

J'ai dévoré les 300 pages en trois jours, j'ai beaucoup souri à l'excentricité de cette expérience (l'épisode de la fougère, de la photo jaccuzzi, ou encore la description d'une femme rivale), et me suis laissée émouvoir par le côté désespéré de cette quête perpétuelle de sensations et d'inspiration par le personnage du mentor. Alley parvient à trouver un juste milieu dans sa relation à Walker, qui en devient touchante.


La construction est réussie, la plume est précise, enlevée, et pleine d'humour. Les scènes déjantées et les personnages, aussi caricaturaux que complexes, nous offrent un récit drôle et attachant. C'est à la fois léger, par le recul lucide de l'héroïne, et grave par les sujets abordés, les risques encourus, la fin que l'on sent inéluctable… et la pointe inquiétante de réalisme.


Bien sûr, c'est un roman où l'on côtoie en permanence les excès de toute nature : Alcool, drogue, cigarettes, coucheries, armes à feu, provocations à outrance, etc sont le quotidien de la bande. Mais n'y voir que ça serait passer à côté du principal.
Loin d'être une incitation à l'imitation, et loin à l'inverse d'être un jugement condamnant ces comportements, il s'agit, d'une part, d'une intrusion véritable dans le monde de cet auteur et des cercles littéraires, bien loin des rêves de licornes aseptisés que l'on peut idéaliser.


Et ce réalisme, finalement, est tout l'intérêt du roman. Car dans sa vraie vie, Cheryl della Pietra a précédé son héroïne en tant qu'assistante d'un auteur phare de l'écriture gonzo : Hunter Thomson lui-même.
Walker Reade, avec « sa niche littéraire - la ligne floue entre la fiction et la réalité, doublée d'un discours politique acerbe et d'une consommation de drogue jamais égalée », en est le double fictionnel.
Au cas où le titre ne serait pas assez clair, l'auteure multiplie les références à Thomson dans chaque détail du roman (des titres de livres, sa ville d'Aspen, etc…).


En décidant de plonger aveuglément dans l'univers de Walker Reade / Hunter Thomson, malgré le changement de mode de vie et les risques inhérents, Alley / Cheryl della Pietra adopte la démarche gonzo de son mentor : pour parler de quelque chose, vis-le.
Ce roman est donc, d'autre part, une parfaite mise en abîme, qui respecte totalement les codes d'Hunter Thomson, consistant à devenir acteur de ce que l'on veut raconter, pour donner un réalisme subjectif au résultat, souvent déjanté.


Bien sûr, même si certains trips sont particulièrement amusants à lire, la plume bien calibrée de la narratrice nous convainc qu'elle n'écrit pas vraiment sous acide lorsqu'elle décrit ces scènes - alors même qu'Hunter Thomson, dans son roman sur Las Vegas, voulait au contraire que le lecteur croit à l'expérience simultanée pour une immersion totale dans le roman.
Ainsi, et c'est tant mieux, l'auteure n'essaye pas d'imiter la plume d'Hunter Thomson. Elle utilise en revanche son univers, sa propre expérience auprès de lui et applique sa méthode : parler de ce qu'elle connait, après s'être immergée jusqu'à devenir actrice de son sujet.


Au total, s'il ne faut pas s'attendre à lire du Thomson, il faut en revanche s'attendre à vivre du Thomson !


Attirée par la référence du titre à cet auteur-journaliste, je craignais parallèlement que ce roman ne soit qu'une pâle copie, utilisant un mot (gonzo), un nom (Thomson), et un univers déjanté au service d'une plume un peu fade et d'une histoire banale. Il n'en est rien : l'auteure possède son propre style, qui rend l'ensemble amusant et crédible, cohérent et prenant ; et même attachant. Où s'arrête la réalité et où commence la fiction ? Une lecture agréable, qui dévoilera sûrement mieux ses charmes aux connaisseurs d'Hunter Thomson.


Un grand merci à la masse critique Babelio ainsi qu'aux éditions Stéphane Marsan, pour cet excellent moment de lecture !

"REMERCIEMENTS
A Hunter Thomson : merci de m'avoir rappelé, comme souvent par le passé, qu'"un jour sans rire est un jour de merde".
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