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Critique de peloignon


Derrida, avant Foucault, Kristeva ou encore Lyotard, c'est le nom de philosophe qui sort toujours en premier lorsqu'on évoque les penseurs que l'on qualifie de « post-modernes ». Il fait effectivement parti de ces individus brillants qui donnent tant d'ulcères aux rationalistes, logicistes et autres scientistes, que l'on retrouve surtout chez les penseurs de tradition anglaise et états-unienne, et qui aimeraient tant pouvoir clôturer la pensée de manière à ce que la liberté, l'incommensurable et l'incompréhensible ne viennent plus à la tête de qui que ce soit.
Une bonne part de sa popularité vient donc de son talent particulier, mais la réputation sulfureuse qu'on lui a montée y est indéniablement aussi pour beaucoup. Selon plusieurs, il ne produirait qu'un charabia incompréhensible, il déguiserait un néant de pensée sous un jargon habilement emprunté aux philosophes et chercheurs légitimes, il serait nihiliste, irrationnel, etc..
Pourtant, lorsqu'on le lit (et il faut d'abord savoir vraiment lire pour y arriver, il faut cesser de toujours regarder les textes à partir de critères tous préparés d'avance), c'est une invitation à la liberté du lecteur qui est proposée avec finesse, délicatesse et rigueur. C'est une pensée rigoureusement libre qui en appelle une autre, tout simplement.
Et ici, c'est un point de vue sur Nietzsche qu'il nous invite à prendre, afin de jongler en virtuose avec l'écriture et la pensée, un point de vue complémentaire de plusieurs façons à celui qu'avait pris Heidegger pendant la seconde guerre mondiale, alors que ce dernier donnait son célèbre cours sur Nietzsche.
Le point de vue sur Nietzsche de Derrida est d'abord complémentaire à celui de Heidegger en ce qu'il aborde une question laissée de côté dans son long travail sur Nietzsche: la question de la femme. Nietzsche a, en effet, pas mal parlé des femmes, mais Heidegger a évité le sujet.
Pourquoi?
Peut-être parce qu'il semble qu'au moins depuis Freud, sitôt qu'il est question de différence sexuelle, la pensée entre irrésistiblement, tôt où tard, dans les territoires de l'étant où l'esprit se frotte aux matières les plus collantes et les plus visqueuses. La perspective heideggérienne, qui cherchait à éveiller à la question de l'être, l'a peut-être poussé à éviter le genre de risques qu'accompagnent ce genres de questions pour ses pudiques enquêtes.
Derrida adopte ainsi un point de vue complémentaire sur Nietzsche en ce que, loin d'« oublier » la question de la femme qui s'y trouve, il y porte un regard à la fois étonné et critique. C'est que Derrida ne tente absolument pas de « détruire » l'écriture nietzschéenne pour en faire une philosophe de Volonté de puissance, qui participerait, de ce fait, à la tradition d'« oubli » de la question de l'être. Non, la « déconstruction » qu'il pratique consiste plutôt à mettre en lumière des passages phares sur une question afin d'en dégager toute la puissance évocatrice avec un « sérieux », c'est-à-dire avec une rigueur gorgée d'ironie.
Si la femme est la non-vérité pour Nietzsche, pour Derrida, Nietzsche n'a donc ni tord ni raison. Ou peut-être a-t-il tord? Peut-être aussi a-t-il raison? Ou peut-être a-t-il tord et raison à la fois? Qui sait? le savait-il lui-même? Tout le texte demeurera toujours ouvertement et consciemment « indéfiniment ouvert, cryptique et parodique, c'est-à-dire fermé, ouvert et fermé à la fois ou tour à tour ».(117)
Le tout constitue un élégant moyen de reposer l'oeil sur un aspect sulfureux de la pensée nietzschéenne et d'exercer sa faculté de penser librement de manière critique tout en la divertissant. Un incontournable pour tous ceux qui apprécient Derrida, Heidegger, Nietzsche et la pensée philosophique en général.
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