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Critique de colimasson


Pour celui qui a appris à parler dans un environnement culturel unilingue, la question de la langue maternelle ne se pose pas trop. Derrida, ce fut pas son cas. Né en Algérie en 1930, il grandit dans une famille de pied-noir d'origine juive et fréquente une école où le français est la langue officielle, tandis que l'arabe et le berbère sont présentés en cours optionnels –en toute logique. Derrida a donc dû apprendre le français en le portant sur un piédestal, mais ce n'était pas sa langue. C'était la langue de l'autre et l'autre, parce qu'il avait eu la chance d'apprendre immédiatement la bonne langue, apparaissait comme monolingue.


La question que se pose Derrida est la suivante : le monolinguisme de l'autre n'est-il pas inhérent à la structure même du langage ? Il faudra se souvenir que Derrida et Lacan en cette époque s'opposaient dans la mesure même où leurs pensées auraient trouvé la plus grande puissance à s'assembler, et la question posée dans cet essai semble se référer indirectement à la description du stade du miroir.


En 1949, Lacan annonçait : « La forme totale du corps par quoi le sujet devance dans un mirage la maturation de sa puissance, ne lui est donnée que comme gestalt, c'est à dire dans une extériorité où certes cette forme est plus constituante que constituée, mais où surtout elle lui apparaît dans un relief de stature qui la fige et sous une symétrie qui l'inverse, en opposition à la turbulence de mouvements dont il s'éprouve l'animer. »


L'extériorité pose le point d'achoppement qui permet au sujet de se construire (ici d'acquérir le sujet) mais ouvre à une longue chaîne d'identifications secondaires qui fera ici éclore l'illusion selon laquelle la langue de l'autre est pure, solide, durable. Il faudrait pouvoir renverser le trône sur lequel est assis l'autre dans le miroir.


Je crois que l'autre est monolingue ; l'autre croit qu'un autre l'est davantage que lui –et ainsi de suite on remonte vers une origine qui ne se saisit pas. Alors, Derrida se tourne vers l'à-venir. C'est ici qu'intervient l'écriture comme rêve de laisser une marque qui rappelle la mémoire, geste d'amour et de haine qui « se plie et s'enchaîne auprès de la langue […] pour lui donner ce qu'elle n'a pas et ce qu'il n'a pas lui-même ». Nous verrons ici une subtile référence à la définition lacanienne de l'amour dans sa dimension de manque. Et s'il y a un manque, c'est qu'il y a un espoir, une promesse mais qui sera originaire et sans contenu. « Et une promesse qui ne s'attend plus à ce qu'elle attend: là où tendu vers ce qui se donne à venir, je sais enfin ne plus devoir discerner entre la promesse et la terreur. »


La langue se constitue d'une aliénation originaire vers laquelle il faudrait remonter pour écrire, à l'intérieur de la langue, et inventer son propre idiome en vue de l'idiome absolu. Ce n'est pas la première fois qu'on rêve d'une pure langue, non pas pure langue absolue, mais pure langue relative, le monolinguisme de soi.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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