Avant [l'éclatement de l'URSS], dans les quinze républiques soviétiques, on parlait russe, et chacun priait son Dieu en cachette. Ça arrangeait tout le monde. C'était plus simple. A partir du moment où chaque république a voulu récupérer sa langue et sa religion, ça a fichu le bazar. Ma famille était un bel exemple de cette catastrophe. Nous étions d'origine arménienne, nous parlions russe, nous étions chrétiens orthodoxes et nous vivions en Ouzbékistan. Or les Ouzbeks formaient un peuple de langue turque et étaient de religion musulmane. Ils voulaient se retrouver entre eux. Nous étions devenus des intrus à Samarcande. (p. 63-64)
« Spaciba* ». [...] Merci. C'est souvent le premier mot que prononcent les réfugiés quand ils sont hébergés dans les centres d'accueil en Europe. (p. 157)
* merci, en russe
[...] à Samarcande la situation avait encore empiré. On racontait qu'il y avait des groupes de jeunes hommes qui attrapaient les filles habillées à l'occidentale, en minijupes et en tee-shirts sans manches. Ils avaient des lames de rasoir et ils leur lacéraient les cuisses ou les épaules [au nom de l'Islam]. Ainsi, cela laissait des cicatrices et les filles étaient obligées de les cacher. (p. 72)
la mort venait d'entrer dans la maison et imposait sa loi : la loi du silence. Il n'y avait rien à dire, rien à faire, rien à réclamer. Il était inutile de nous débattre, de pleurer, de nous plaindre. Il n'y aurait pas d'enquête, pas de justice, pas de poursuites. La mort venait de nous enterrer vivants.
[...] seuls les battements d'ailes des papillons de nuit froissaient le silence.
Même si je ne disais rien, je savais que mes yeux criaient.
Mon regard embué de larmes s'est heurté à la lune qui brillait faiblement d'un sourire moqueur. Elle me narguait de toute sa hauteur : elle me renvoyait l'image d'une toute petite personne perdue au milieu de nulle part.
"Il y a de la beauté dans la laideur et de la laideur dans la beauté. Tout dépend de l'oeil qui regarde."
La mort venait de nous enterrer vivants.