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Critique de isanne


Un paysage de campagne, enfin pas vraiment la campagne arborée, évocatrice de douceur et de sérénité mais plutôt de ces lisières entre la ville et la campagne "vraie", la campagne d'autrefois mais comme contaminée, comme gangrenée par les boursouflures de la cité, par ses plastiques et son formica, par ses déchets et ses tôles, un paysage de campagne barbouillé de laideur par la main de l'homme... Un paysage qui a été et qui s'est comme obscurci...

Et alors, comment fait-on pour y vivre, pour habiter l'une de ces trois masures qui se tiennent serrées au bord de la route, peut-être pour faire front à un ultime coup du destin, à un ultime déferlement de l'orage citadin ? Comment accepte-t-on d'y passer une vie et de continuer à essayer d'exister quand les décennies s'ajoutent quand la souplesse s'amenuise, quand les difficultés du quotidien deviennent obstacles ...

Ce sont peut-être "les Sasso" qui ont la réponse quand lui déborde de colère n'aimant rien ni personne, ou encore un peu son potager qu'il cultive pour montrer qu'il sait tout à son propos et finalement en ne mangeant que les fruits du labeur de l'année précédente qu'il a congelés, parce que tout ça, c'est trop pour eux deux... Quand elle, soumise, ne se rend plus trop compte, se tait.
Un peu comme le paysage qui s'est enlaidi, leurs esprits ont fait de même, ils luttent en désaimant, ils survivent en cultivant la hargne au milieu des salades et ça pousse plutôt bien...

Cela pourrait être aussi "la Thomas", veuve, que la liberté de vivre seule effraie, mieux valait être invisible derrière un mari que visible solitaire. Elle ne sort que pour fermer ses volets, les journées immuables, toujours l'horloge qui guide les pas. Un silence l'habite… Elle attend, les années qui passent se résument au silence qui se fait plus épais, aux gestes qu'on économise… Elle attend le silence qui recouvrirait tout et les gestes qui ne seraient plus…

"Anchise c'est autre chose" comme le répète le récit comme un refrain, comme un leitmotiv qu'il ne faudrait pas oublier. Et on remarque tout à coup le soleil, il brille pour Anchise...

Et c'est vrai, Anchise, c'est différent.
Anchise ne vit pas dans le présent, son esprit s'en est vidé, il n'est comblé que de la mémoire... pour se souvenir des peines, de la perte du père à la première guerre qui a fait de lui Anchise quand jusque là tout le monde le nommait Eugène. C'était plus doux, Eugène, et cela allait mieux avec "la Blanche", celle qui a illuminé sa vie, celle qui a embrasé son être... mais comme un feu follet, une étincelle... Emportée par les fièvres pendant qu'il était parti se battre à la seconde guerre.
Anchise, c'est l'éphémère qui s'éternise, c'est le bonheur qu'on met sous un globe de mariée, Anchise, c'est l'innocent, le doux, celui qui écoute ses rêves parce qu'il n'y a qu'à travers eux que sa Douce peut lui parler et c'est pour cela qu'il est devenu l'ami des abeilles....
Anchise, on s'assoit, on l'écoute, on ne l'interrompt pas, il nous parle de ce mince temps de félicité qui a été si bref et pourtant Anchise en a tissé sa vie, en a tricoté son existence.
A quatre-vingt ans, il arrive au bout de cette compagnie des souvenirs, il les a tant tournés et observés, écoutés et modelés, rêvés et imaginés qu'est-ce qu'il reste à Anchise pour continuer ? Surtout si ses pensées sont comme les abeilles, qu'elles s'envolent en essaim pour aller s'installer dans l'arbre creux ?

Il existe des livres dans lesquels davantage que le récit, c'est la langue qui captive, ensorcelle, aimante... Celui-ci est de ceux-là, un phrasé tricoté, crocheté plein d'arabesques et noeuds, coloré, diaphane ou parfois ténébreux.
Un récit qui tisse les mots autour du temps qui s'effrite, un récit qui parle de l'âge qui avance… Je ne l'ai pas trouvé triste, ce récit, même ce qu'on pressent être la fin parce que la présence d'Anchise éclaire le texte, choisissant d'être en marge de la vie pour mieux la laisser s'écouler. La colère ne le gagne pas, la solitude est sa compagne acceptée, il vit dans un monde qu'il s'est créé et qu'il cultive, en discrétion, comme son potager, caché au milieu des herbes. Personnes ne remarque ses tomates ou ses choux mais lui sait qu'ils sont là… C'est comme ses pensées, elles ne prennent vie que pour lui…
A l'automne, le potager se vide, s'endort, disparaît, les abeilles cessent leurs danses folles… Anchise le sait et le lecteur, aussi, l'a deviné, Anchise ce n'est pas autre chose...
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