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Critique de mdlaix


Dans Fahrenheit 2010, publié l'année éponyme, Isabelle Desesquelles rapporte son parcours de libraire passionnée jusqu'à ce qu'elle soit forcée de se soumettre aux nouvelles règles de la chaîne ayant racheté la librairie où elle travaillait. L'autrice parvient à transmettre son amour pour sa profession et ses valeurs inhérentes, qu'elle souhaite conserver et perpétuer. « Quand on aime, il faut partir » (p.163). le lecteur perçoit ainsi par contraste d'autant plus fort comment les décisions de la nouvelle direction, si opposées à sa conception du métier, réveillent en elle, après l'avoir portée au plus bas par déception et désillusion, un instinct de survie qui la pousse à partir pour avancer à nouveau…

Fahrenheit 2010 s'apparente ainsi à la fois à un essai, une lettre ouverte et un récit autobiographique proche du journal intime.

Sur le modèle de l'essai, Isabelle Desesquelles dresse un portrait de la transformation des librairies indépendantes lorsqu'elles rejoignent des réseaux, la plupart du temps par nécessité économique. Elles doivent alors se confronter à de nouveaux modes de fonctionnement parfois imposés par des entreprises qui ne saisissent pas la portée d'exception culturelle que les librairies représentent, au-delà de commerces destinés à dégager de la rentabilité. D'après « Lachaîne », dont dépend l'autrice au moment de l'écriture, une librairie doit être productive, dégager du profit en fidélisant le plus de clients et en optimisant la gestion technique du magasin (stock…). Cependant, pour la « femme aux 100 000 livres » comme pour tant d'autres libraires, réduire le stock revient à condamner prématurément des livres à ne pas trouver leur lecteur, et s'oppose à la volonté de valorisation de la production éditoriale dans toute sa diversité. le libraire perd alors la liberté qui lui permet d'exprimer sa passion au travers de son assortiment.

Ce rapport pourrait apparaître comme désolant, noir et excessivement pessimiste. Cependant, le point de vue et la sensibilité de la libraire qu'est avant tout l'auteur permet de transmettre ces constatations comme un témoignage critique, signal de détresse quant à l'avenir de la librairie indépendante à l'époque de l'écriture.

On ne peut faire appel au titre de la dystopie de Ray Bradbury sans créer une image marquante dans l'esprit du lecteur. L'autrice compare elle-même son récit à une lettre, qui à défaut d'atteindre les mains du président trouvera un plus juste interlocuteur en passant par celles d'un éditeur. Cette lettre est ouverte, tournée vers un lecteur qu'elle semble continuellement et personnellement interpeler puisque le récit est à la seconde personne du singulier. En refusant de se refermer sur son histoire par l'usage du « je », l'autrice paraît chercher à impliquer tout un chacun dans son parcours. La puissance cathartique qu'a dû avoir l'acte d'écriture pour Isabelle Desesquelles peut ainsi être ressentie par le lecteur.

Par le pouvoir qui lui est conféré, l'écrivaine s'accorde le droit de renommer les protagonistes (ou antagonistes) de son récit. Il n'est pas difficile de démasquer ces couvertures en effectuant quelques recherches sur le parcours de la libraire. Cependant, l'onomastique devient un nouvel outil d'expression. le plus marquant à ce sujet est la manière dont l'autrice choisit d'accorder, outre des surnoms parfois peu flatteurs, une majuscule ou non aux personnages qui gravitent autour d'elle. La force typographique révèle ainsi une fois de plus l'importance qu'elle estime méritée ou non par ces personnes. Ainsi, elle s'attachera à nommer chacun des libraires qui ont travaillé à ses côtés par leur prénom, tandis que les autres seront réduits aux noms de « blondinet », « amazone », « gus » et « beurk ».

Enfin, ce récit rappelle également la forme d'un journal intime, notamment par la manière dont Isabelle Desesquelles trace une chronologie désordonnée des jours qui ont marqué sa vie de libraire, comme un avant et un après. C'est ainsi avec des dates précises qu'elle évoque le jour où la goutte d'eau a fait déborder le vase, en l'événement d'un séminaire d'entreprise, et le jour où elle a pris la décision de démissionner, où sa vie a pris un nouveau tournant.

J'ai donc trouvé ce témoignage intéressant et instructif dans la manière dont l'autrice rend compte de la réalité d'une partie des librairies, indépendantes ou en réseau, qui doivent se battre pour maintenir les principes faisant d'elles des lieux de culture avant d'être des commerces.
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