Je rêve de l'amour que l'on perd.
Des regards. Des souffles conjugués dans lesquels on pouvait se réfugier tout entiers. Des déferlantes qui se fracassaient à l'intérieur, sur les rebords élastiques de nos cages thoraciques. La pression papillonnante qui poussait, poussait, jusqu'à ce qu'on veuille s'ouvrir en fleurs humaines, s'entre-déchirer pour que ça puisse voir la lumière. Libérer. Déverser. S'épandre sur le monde et sur l'autre, à l'inconditionnel, en torrents palpitants.
Les hommes aiment le son de leur propre voix. Les hommes de dieu plus que tous les autres, et il y a aussi que le troupeau est suffisamment niais pour trouver ces échos impressionnants.
Je ne suis qu'un conglomérat de matière. Un tas d'atomes à qui l'on a appris à gesticuler en direction d'un univers sourd et aveugle. Un amalgame de viande qui n'est là que pour un temps, une chose avortée qui parvient à peine à se souvenir des rêves qu'il aurait voulu devenir.
On ne creuse pas le passé sans y trouver des échardes et de la souffrance. On ne retourne rien qui ne sache planter ses dents dans la chair du présent et lui parler d'ampoules et de sueur et de sang.
Les champs étincellent sous le rayonnement bienveillant. Les araignées ont tissé leurs toiles par-dessus ces cratères que les vaches ont creusés. Il y en a des centaines. Des voiles délicats qui capturent la rosée en joyaux éclatants, les emprisonnent pour les offrir au ciel. Des fragments. Des échos étoilés.
Le clapotis discret de la rivière s'éparpille avec douceur, raconte des histoires d'eau entre les galets et les racines. C'est une nuit à merveilles, ce soir. Une nuit à fées.
Comme l'homme aime courber ce qu'il peut, je me dis tout bas.
Même usé et chancelant, même quand il n'a plus de dents pour mâcher, plus de force pour saisir ou bander, et que son sang pourrit dans ses veines grasses, toujours il voudra soumettre, ordonner et faire sens.
L'illusion de la puissance doit être maintenue jusqu'au bout.
Il y a la caresse des gouttes. Elles se logent dans les lambeaux de chemise, s'infiltrent et coulent, fraîches et amicales sur ma nuque brûlée. Les cieux tonnent et la pluie murmure. Des promesses.
Je soupçonnais le bonheur d'être un état, un état transitoire qui n'admettait jamais d'être saisi, seulement d'être vécu. Par brèves étincelles.
Quand ils ont mis au jour les tumulus gaulois, figés par des siècles de déliquescence, j’avais aidé. J’ai commis près d’ici mon ultime profanation. J’espérais qu’il y en aurait d’autres. La pioche et moi, nous avions creusé. Avec avidité, nous avions exposé les débris des morts, fouillé la terre comme on fouille une amante. À grands coups, lorsqu’il n’y avait plus rien à blesser, mais délicatement, surtout. Par effleurements spasmodiques. Je m’étais rendu complice des ouvrages, comme je l’avais toujours fait, sans savoir que ce serait la dernière fois.