Citations sur Le cycle de Syffe, tome 1 : L'enfant de poussière (143)
Soit les dieux existent et ils ne sont pas ce que les hommes en disent, soit ils n’existent pas du tout. La seule sagesse qui peut exister ici, c’est dire que nous ne savons pas.
Mon esprit à huit ans était un jeune loup en quête de subsistance et cette faim était devenue tiraillante au cours de l’année qui venait de s’écouler, un appétit insaisissable mais profond. Cette porte qui venait de s’entrouvrir, cette mince fente que me faisait miroiter le maître-chirurgien, j’y avais enfoncé le museau à m’en faire saigner, buvant avec passion les humeurs alléchantes qui laissaient présager du festin à venir.
Croire que l’on sait est ignorant. Savoir que l’on croit ne l’est pas. L’homme sage est capable de discerner les nuances entre ce qu’il sait et ce qu’il croit, parce que la croyance est la plus dangereuse des ignorances. […] L’aveu de sa propre ignorance est une démonstration de force.
Quand on fait du savoir une tour, cela ne reste qu’une chose morte et inachevée. La vraie sagesse est un arbre qui n’a cessé de croître. Les branches vivantes tombent et renaissent. Elles n’ont aucune limite, hormis celles que l’on veut bien leur donner.
Il faut avoir quitter quelque chose pour savoir à quel point cela compte.
Je remercie encore Uldrick de m’avoir montré à quoi ressemble un tueur ordinaire, soldat ou coupe-jarret, ou égorgeur d’enfants. Cela m’a permis de saisir que derrière les massacres et les rapines et les viols, derrière les pires horreurs que le monde peut contenir, il n’y a ni mal, ni démons, ni mauvais sorts, mais seulement la folie d’hommes désespérés, dont la peur a fait des monstres.
A peine pouvais-je nourrir les braises froides de mon désespoir avec un combustible obscur de reconnaissance et de haine mêlées.
Lire devenait pour moi si naturel, que c'était à peine si je me souvenais d'un temps où il n'y avait pas eu la texture du vélin sous mes doigts, l'odeur alcaline de l'encre et cette farandole de miracles calligraphiés à parcourir.
Il y a des jours où le sort fourche, même si on ne s'en rend pas compte immédiatement, les détails nous en reviennent des années plus tard, et ce jour était de ceux-là.
Le carreau qui frappa Uldrick frappa en biais, juste à côté de la nasale de son heaume. Ça se ficha jusqu'à l'empennage de feutre en un craquement étouffé. Le Var eut un sursaut, puis souffla net, comme un homme soulagé. Un flot rouge se mit à sourdre par la narine qu'il lui restait, puis son mauvais genou plia, et il bascula devant moi, son armure tintant tandis que les écailles de bronze sautaient sous l'impact d'autres traits miaulants. Ce fut le corps mourant du Var qui me protégea des tirs, tandis qu'autour la nuit se striait d'éclairs et de hurlements d'alarme et de douleur. Je me rappelle le sang qui bullait dans sa barbe, les chuintements au-dessus et aussi que j'avais agrippé sa main comme celle d'un père, pendant que ses soubresauts s'adoucissaient. Je me rappelle les larmes muettes, ne plus avoir voulu respirer, puis le blanc crépitant qui s'engouffra en moi, parce que je ne pouvais plus rien au monde, plus rien du tout. Je me rappelle avoir claqué des dents, et contemplé l'obscurité sans vouloir comprendre comment tout se défaisait devant mes yeux. Autour, les portes des enfers s'ouvraient en grand.