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Critique de Woland


Deadwood
Traduction : Martine Leroy-Battistelli

ISBN : 9782070337248

"Deadwood", littéralement "Bois Mort", est probablement le livre que, compte tenu de certaines circonstances extérieures, j'aurais mis le plus de temps à lire dans toute mon existence. Et pourtant, c'est un bon roman même s'il n'a pas l'ampleur épique habituelle à un hymne nostalgique à la gloire du Far-West, ce Far West désormais si éloigné dans le temps que les descendants des pionniers, englués dans une violence de plus en plus puissante en raison des intérêts financiers, des gangs, de la drogue et de la situation internationale actuelle (qui n'a rien de stable, nous le savons bien, nous aussi, en Europe) se retournent souvent pour contempler avec mélancolie ces ombres figées dans le passé.

Un passé qui était si simple, un passé que célèbre encore la country music. Il y avait - en tout cas au cinéma jusqu'à l'arrivée de Sergio Leone dans le paysage - le bon (toujours habillé de blanc et rasé de près) et le ou les méchants (habillés de noir et mal rasés), les entraîneuses du saloon, garces ou filles au grand coeur, et les femmes honnêtes, celles qui appartenaient à la petite bourgeoisie des commerçants et les simples épouses de fermiers. Il y avait aussi les Indiens (forcément féroces jusqu'à ce que l'on commençât à se poser des questions honnêtes sur ce qu'ils avaient pu ressentir devant l'invasion des Blancs) et les Mexicains (endormis au soleil ou alors tirant dans tous les sens en poussant des clameurs de joie). Un chien ou deux qui passaient dans des rues écrasées de soleil et de silence. de temps à autre, il y avait des guerres, celle du Mexique ("Remember the Alamo !" avec l'admirable version de Johnny Cash ) mais aussi la terrible Guerre de Sécession (que les Américains, toujours pragmatiques, appellent "the Civil War"), le prototype d'une guerre qui, au siècle suivant, allait envoyer tout le monde dans les tranchées de l'Horreur, la guerre 14-18, et établir définitivement (en tout cas pour un temps) la puissance financière et sociétale des Etats-Unis d'Amérique.

Et puis, bien sûr, il y avait les hors-la-loi. Au pays de la statue de la Liberté, ils eurent souvent d'étranges destins. Certains d'entre eux, comme Jesse James et sa bande, directement issus de la Guerre de Sécession, finirent par être tenus par des héros. Billy the Kid n'était pas, dans sa jeunesse, un si méchant garçon. Combien encore pourrait-on citer ? Tous en tout cas, qu'ils fussent de véritables délinquants ou de simples tueurs à gages embauchés par une ville exaspérée d'être rackettée par des bandes de brigands authentiques afin de la débarrasser une fois pour toutes de cette plaie, ont leurs noms, inscrits en plus ou moins gros caractères dans l'Histoire du Far West - bien que, pour la plupart, on ne se rappelle plus là où ils furent enterrés.

"Deadwood", ville qui s'établit illégalement sur le territoire indien dans les Black Hills, lors de la Ruée vers l'Or provoquée par le général Custer, fut détruite dans un incendie en 1879. Reconstruite, elle est classée aujourd'hui au Patrimoine national américain. (Elle a au passage inspiré l'excellente série éponyme HBO, qui se base en partie sur le roman de Pete Dexter.) Une ville de légende, donc, où repose la dépouille de Wild Bill Hickok (de son vrai nom James Butler Hickok), qui y fut assassiné le 2 août 1876, d'une balle dans la tête, alors que, fait exceptionnel chez lui, il avait accepté de s'asseoir dos à l'entrée du saloon. Il était alors en pleine partie de poker et tous les amateurs de western connaissent la main qu'il avait lorsque la Mort le surprit : huit de trèfles, as de piques, as de trèfles et huit de piques, la cinquième carte, restée couverte, étant sans doute le neuf de carreaux. Cette combinaison prit par la suite, dans le milieu des joueurs, le nom de "Dead man's hand", soit "la main du Mort" - et c'est le nom qu'elle porte encore.

Repose aussi à Deadwood la dépouille mortelle de la célèbre Martha Jane Cannary, qui se surnomma elle-même "Calamity Jane." Autre figure légendaire de l'Ouest américain, elle eut une fille, peut-être de Hickok, et revint mourir, de ses nombreux abus alcooliques et aussi de sa lassitude face à une existence qui ne lui avait donné pour avantage qu'un redoutable talent de tireur, là où gisait Wild Bill Hickok depuis vingt-sept ans, à Deadwood. le fantasme de Calamity Jane reste d'avoir été l'épouse légitime de Hickok. Il semble que celui-ci n'ai jamais eu qu'une seule épouse de ce type, la funambule Agnes Lake. Quoi qu'il en soit, comme Wild Bill partit pour Deadwood en compagnie de Calamity, pour l'or mais aussi parce qu'il avait besoin de "changer d'air" - le frère de Custer lui-même rêvait de lui faire la peau - il est possible que, dans un moment de beuverie ou peut-être attirés l'un par l'autre par leur "célébrité" respective - tous deux étaient entrés, vivants, dans la légende de l'Ouest - ils aient eu une brève liaison.

Cette hypothèse est violemment rejetée par Pete Dexter en la personne de son héros principal, celui qui raconte l'histoire à la troisième personne et qui n'est autre que Charley H. Utter, dit "Colorado Charley", autre figure, moins connue il est vrai, du Far-West, qui s'était lié avec Wild Bill et s'était donné pour mission de veiller sur lui. Hickok buvait en effet beaucoup, sans perdre pour autant sa redoutable habileté au pistolet. Comme, en ce temps-là, beaucoup de jeunes gens rêvaient de se faire un nom en abattant un tireur aussi réputé, Hickok, même quand il ne les recherchait pas, s'attirait beaucoup d'histoires. Et il agissait parfois en état de légitime défense. Dans le roman, Hickok sent qu'il arrive au bout du rouleau - il est presque certain qu'il est atteint de la syphilis et, sur les conseils des médecins de l'époque, se badigeonne tous les jours de mercure, ce qui, de surcroît, l'empoisonne lentement - et que sa fin l'attend à Deadwood. Comme il devient peu à peu aveugle, Charley a une seconde raison de veiller sur lui - tout en s'assurant que Wild Bill ne s'en aperçoive pas.

Pete Dexter a retenu beaucoup de détails sur Charley Utter : sa taille peu élevée (1,65 m), son élégance et une manie qui surprenait beaucoup à l'époque, y compris ses amis les plus proches : sa volonté affirmée de se baigner tous les jours. Ce qui permet d'ailleurs à l'auteur d'introduire ce personnage si attachant qu'est l'Homme au Bouteilles, surnom du préposé aux bains de Deadwood, un "fou" qui, très souvent, exprime la voix de la sagesse dans cet univers de violence où, à leur arrivée, Wild Bill et Charley voient deux hommes trimballer, chacun à sa façon, deux têtes coupées. le premier est un Mexicain qui la tient à la main, debout sur son cheval. le second est Boone May (probablement, mais en beaucoup plus laid que l'original, Daniel Boone May), qui se promène avec, dans une sacoche, la tête d'un hors-la-loi qu'il vient d'abattre contre récompense.

La plupart des personnages qui apparaissent dans le roman ont d'ailleurs existé - cherchez par exemple le nom de Lurline Monte Verdi et vous trouverez tout ce que vous voulez sur le Net ; idem pour Seth Bullock et Solomon Star -, tout comme le Deadwood dépeint par l'auteur et qui a évidemment beaucoup changé lors de sa reconstruction. C'est pourquoi l'on est en droit de déplorer que le texte ne soit pas empreint de ce souffle qu'on attend en général dans ce genre de cas. Hickok est présenté comme obsédé par "la célébrité" et il est si silencieux que le lecteur, malgré tous ses efforts, ne parvient pas vraiment à savoir ce qu'il pense, ni ce qu'il est ou a été vraiment. le personnage de Calamity Jane, malgré le refus de toute idylle entre Hickok et elle, est tout de même plus fouillé et sonne plus juste. Mais Dexter n'aurait pu, il est vrai, effacer les efforts remarquables qu'elle accomplit lors de l'épidémie de variole qui sévit à Deadwood, puis à Cheyenne. Il omet par contre de préciser que les obsèques de Martha Jane Cannary furent vraiment imposantes et que tout Deadwood vint rendre un hommage appuyé à celle qui avait sauvé tant de malades de la variole, à tel point que l'homme qui ferma son cercueil n'était autre que l'un des bébés qu'elle parvint à ramener à la vie.

En ce qui concerne Charley Utter, Dexter adopte la version qui veut qu'il soit mort au Panama, en 1912, emportant avec lui les souvenirs d'une vie riche en excès, en bizarreries et en amitiés étranges.

Tel qu'il est, ce roman colle au maximum, à mon avis, à la réalité mais le style demeure plat (peut-être à dessein d'ailleurs, pour combattre l'emphase avec laquelle Wild Bill Hickok, Calamity Jane, Jack McCall - l'assassin de Bill - l'infâme proxénète al Swearingen, et tant d'autres comme William Cody, dont le nom est cité çà et là - car Wild Bill comme Calamity travaillèrent pour lui - s'acharnèrent à raconter, voire à s'inventer des exploits). Si l'on peut comprendre le désir de l'auteur de s'en tenir aux faits et rien qu'aux faits (en introduisant cependant quelques personnages fictifs comme l'Homme aux Bouteilles ou la touchante Poupée Chinoise), on serait tenté d'affirmer qu'il a trop bien réussi. Un peu plus de flamme eût été nécessaire. On sort donc de là un peu déçu mais avec le désir de se renseigner un peu plus sur tous ces personnages atypiques qui défilèrent à Deadwood. Et de trouver un livre, roman ou pas, qui rende un peu plus justice à ce qu'ils portaient en eux - sans s'en rendre pleinement compte - de flamboyant et d'exceptionnel. Et puis, bien sûr, les habitués de la qualité HBO courront se procurer l'intégrale de la série (3 saisons en tout). ;o)
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