AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Woland


L'Arminuta
Traduction : Nathalie Bauer

ISBN : 9782021380026

Nous remercions les Editions du Seuil qui, par l'intermédiaire de l'une des Opérations "Masse Critique" organisées par le site Babelio, nous a expédié un exemplaire de cet ouvrage à titre gracieux.


En ces temps frappés de folie - folie dont l'Italie fut et reste l'une des premières victimes actuelles, le résultat des dernières élections dans ce pays vient encore de le prouver avec éclat à ceux qui refusaient de le reconnaître - "La Revenue" fera peut-être réfléchir les personnes qui considèrent l'enfant comme un jouet sans âme qu'on peut échanger, manipuler physiquement comme émotionnellement, transbahuter d'un monde à un autre, tout cela, bien sûr, en lui mentant à longueur de journées, de minutes, de secondes et en ayant, malgré tout, la certitude d'être un bon, voire un excellent parent. Et peut-être renonceront-elles à tendre l'oreille aux sirènes de la GPA et autres trucs-en-A du même sinistre acabit, qu'une mondialisation intégralement économique, qui ne repose sur aucune base sociale et ne profite qu'à un petit cercle bien délimité leur garantit comme prêts à leur offrir des enfants sur mesure - au QI de génie, cela va de soi.

Je vous rassure : "La Revenue" ne parle ni de mondialisation, ni d'enfants "commandés", voire "programmés" avec tel ou tel gène. Mais, irrésistiblement, le drame qu'y dépeint l'auteur ne peut manquer de faire songer le lecteur à cette actualité aussi tapageuse que marquée par la tentative d'incarnation du Big Brother d'Orwell à laquelle nous assistons. En même temps, je signale tout de suite qu'il est très difficile d'évoquer ce roman, qui émeut par son authenticité, sans révéler quelques morceaux de son intrigue. Nous essaierons cependant d'en dévoiler le minimum.

Tout tourne autour d'une fillette, la narratrice qui, à l'âge de treize ans, se voit réexpédiée par ceux que, jusque là et depuis le berceau - ce n'est pas une image - elle a tenus pour ses parents biologiques, chez sa "vraie" mère, Adalgisa, une paysanne de l'intérieur du pays, laquelle vit depuis toujours dans une très modeste (et très miteuse) maison, auprès d'un mari maçon (le père de la narratrice) et entourée d'un nombre impressionnant de rejetons dont l'aîné, le beau et charmeur Vincenzo, bien qu'indéniablement courageux, lui cause bien des soucis.

C'est pourtant avec cet aîné âgé de dix-huit ans et avec Adriana, sa soeur un peu plus jeune, malicieuse et pleine de bon sens, que la "Revenue" noue ses seuls liens fraternels. Encore cette relation se révèle-t-elle assez ambiguë avec Vincenzo, et aurait-elle presque certainement tourné à l'inceste s'il n'était mort en pleine jeunesse, dans un stupide accident de moto. Signalons aussi qu'elle finit par se lier avec le dernier membre de cette famille attachée à la misère comme les tiques le sont au chien, le petit Giuseppe, qu'elle aperçoit pour la première fois bébé entre les bras d'Adalgisa et que, bien plus tard, car la pauvreté et une nourriture carencée, sans compter les grossesses trop rapprochées de la mère, auront fait de lui un enfant, puis un adulte "différent", elle aidera à trouver sa place dans la société, même s'il ne s'agit que d'un centre spécialisé mais de très bonne réputation.

Avec une délicatesse incroyable et une netteté sans défaut, qui mieux est sans aucun apitoiement empestant le pathos, Donatella di Pietrantonio nous brosse un double portrait : celui de l'Italie urbaine, relativement aisée, à laquelle appartient d'abord sa jeune narratrice, à qui ceux dont elle n'a aucune raison de douter qu'ils sont bel et bien ses parents paient les meilleures écoles, les meilleurs cours de natation, de piano et, de façon générale, sans en faire une enfant gâtée, tout ce qu'elle désire dans la limite du raisonnable ; et, à l'opposé de ce monde insouciant (quoique les années de Plomb soient clairement mentionnées par l'écrivain pour faciliter l'identification du lecteur et souligner l'effarante différence qui existe encore à cette époque entre la ville et la campagne italiennes), la maison poussiéreuse, arthrosée, dont les planchers craquent à chaque pas et où les enfants, garçons et filles, dorment tous dans la même chambre, qui s'élève dans les boues de l'Italie rurale, plus souvent sous une pluie maussade que sous l'éclat d'un soleil caressant les moissons.

De même, la narratrice, si jeune qu'elle soit et à un âge où, justement, l'on recherche son identité véritable, se sent comme dédoublée. Est-elle réellement la fille d'Adalgisa, cette femme sèche et épuisée, qui n'a jamais pour elle que des paroles banales et même dures, mais qui sombrera dans la dépression à la mort de Vincenzo ? Et celle qui l'a élevée jusque là, si loin désormais, en ville, n'est-elle que sa tante, laquelle a proposé à une soeur accablée par les soucis matériels de nourrir pour elle la nouvelle petite bouche qui était née treize ans auparavant, à la condition cependant qu'Adalgisa acceptât qu'elle se fît passer pour la véritable mère de l'enfant ?

Et pourquoi cette séparation si soudaine, quasiment du jour au lendemain ? Sa mère "adoptive" semblait malade, c'est vrai, la dernière fois qu'elle a pu la voir. Est-elle morte ? Sinon, pourquoi l'a-t-elle abandonnée, comme cela, sans aucune explication, sans aucun regard en arrière - avec cette lâcheté terrible dont les adultes peuvent faire preuve envers les enfants et les animaux ?

Pourquoi, surtout, ne jamais lui avoir parlé de ses origines véritables, ne pas l'avoir habituée à cette idée qu'elle n'était pas sa vraie mère ? Pourquoi avoir délégué "le sale boulot" à cette Adalgisa qu'elle voulait soi-disant soulager ?

Peu à peu, la Revenue s'adapte. Mais elle va sur ses quatorze ans et comprend déjà que cette enfance faussée qu'elle a vécue, même si elle y a connu le luxe, ne fut pas SA véritable enfance. C'est maintenant, dans cette campagne indifférente dont elle est issue, qu'elle recueille les miettes de ce qui aurait dû être, des miettes souvent aigres et rassises, et quelquefois, grâce à Vincenzo et Adriana, et même, en deux occasions, à Adalgisa, savoureuses et presque moëlleuses parce qu'elles ont le goût de la Vérité et d'une étrange tendresse.

On lui a volé son enfance, on lui a volé certaines forces pour lui en conférer d'autres, c'est certain. Mais le pire, comme elle l'apprend à la fin du roman, c'est que ce n'était pas par amour pour elle, considérée, du début jusqu'à la fin, comme une espèce de talisman nécessaire, une sorte de prière silencieuse adressée à quelque saint mystérieux pour obtenir ce que l'on désirait tant - un peu comme si sa "mère" de la ville avait passé un marché avec Dieu ("J'élèverai et aimerai cette enfant comme ma fille si seulement Vous ...") ou, plus vraisemblable avec le Diable car, nul ne l'ignore, on ne passe jamais de marché avec Dieu.

La consolation du lecteur est de constater que la narratrice, enfant particulièrement douée sur le plan intellectuel, s'est brillamment sortie de ce bourbier imposé par le Destin. Mais l'amertume de cette enfance gâchée et plus encore l'horreur de voir, si délicatement, si simplement, si naturellement décrite, la tendance de certaines personnes à ne considérer les enfants qu'ils font ou qu'on met à leur disposition, que comme des objets sans âme ni sentiments, demeurent et vous donnent la nausée.

L'héroïne de cette histoire mélancolique portait en elle suffisamment de force et d'intelligence pour se recréer par le biais de l'écriture. Sinon, sans doute eût-elle basculé. Peut-être dans la simple marginalité, peut-être dans bien pire ... Et c'est à ce moment précis qu'on se dit que, finalement, Vincenzo a eu bien de la chance de mourir dans la gloire de sa jeunesse et de son indépendance toute neuve.

"La Revenue" : un roman à lire. Donatella di Pietrantonio : un nom à retenir. ;o)
Commenter  J’apprécie          61



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}