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Critique de Merik


Merik
06 septembre 2023
Une chose est particulière dans ce roman, on pourrait lire la première partie et s'arrêter là. On aurait lu un roman plutôt court sur l'histoire d'un couple, dans lequel l'homme nous est présenté comme le riche héritier d'une famille implantée dans l'industrie du tabac pour l'essentiel, avant qu'il ne revende tout pour faire fructifier le capital dans la finance avec une réussite faramineuse, tout autant que scandaleuse. Celle qui deviendra sa femme est quant à elle issue d'une famille d'aristocrates, elle aura elle aussi sa part de mystères et d'incertitudes, avant de sombrer peu à peu dans ce roman : « Ce qui importait, c'était son incapacité à arrêter de penser à ses pensées. Ses spéculations se reflétaient mutuellement, comme des miroirs parallèles– et, à l'infini , chaque image à l'intérieur du tunnel vertigineux contemplait la suivante en se demandant si elle était l'originale ou une reproduction ».
La lecture pourrait s'arrêter là et on aurait le sentiment d'avoir lu un bon roman, empreint d'un classicisme du début du 20ème, de s'être plongé dans le Wall Street de ses années 20 de crise financière sous le point de vue d'un romancier, que l'on recroisera. On pourrait s'arrêter là mais ça serait dommage. La suite va s'appuyer sur ce roman et le déconstruire dans une perspective borgésienne : ici ça serait la fiction qui s'immiscerait dans le réel pour le tordre et l'altérer, à l'image du magnat de la finance n'avouant jamais ses erreurs mais faisant « usage de tous ses moyens et ressources pour tordre la réalité afin de la faire coïncider ». La deuxième partie est ainsi une controverse au roman de la première, sous la forme d'un manuscrit incomplet de confessions. Elle sera suivie par un troisième texte, les mémoires d'Ida qui a bien connu le couple en question. Une troisième partie – la plus longue – sous le ton palpitant de l'enquête sur les différents mystères, amenant le lecteur à devenir enquêteur lui aussi en profilant avec Ida la silhouette de moins en moins éthérée de l'épouse. Enfin le quatrième texte est un journal intime, il apportera un nouveau point de vue sur la vérité de ce couple. Une vérité se dessinant sous le prisme kaléidoscopique de parties qui vont se contredire, se refléter, s'encapsuler dans une association de textes sujets à interrogations pour le lecteur, chaque partie avec son style, l'écriture fluide et modulable d'Hernan Diaz y étant virtuose pour son adaptation au genre et au personnage qui tient la plume.
Mais il est possible que le roman ne s'arrête pas là. Certains pourtant passionnants à la lecture ne laissent pas vraiment de traces quand d'autres continuent à forer leur chemin dans les méandres des synapses. le genre de roman à susciter des interprétations et des retours, déjà bien nombreux par ici. Toujours est-il qu'on pourra s'engouffrer dans le labyrinthe des différentes textes, se questionner sur la vérité et étendre au rapport qu'entretiennent fiction et réalité, on pourrait même se ramener à la mémoire – individuelle ou collective, et l'élaboration des histoires ou des légendes. Hernan Diaz est spécialiste de Borgès, l'adepte des plans de fiction et de réalité entremêlés, à silhouette labyrinthique. Il semble s'en inspirer avec ce vertigineux roman sur l'argent et surtout la vérité, original dans sa forme, qui nous entortille les neurones tout le long et nous prend encore à revers dans le final.
Un roman MAGISTRAL, auréolé qui plus est du Pulitzer. C'est bien là son seul défaut à mes yeux ^^, qui lui coûte la dernière demi-étoile. Faut pas exagérer non plus ;)
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