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Critique de gerardmuller


Les grandes espérances /Charles Dickens /740 pages
Les faits :
Nous sommes en 1812 dans le comté rural du Kent. le jeune orphelin Pip, diminutif de Philip, qui n'a jamais connu ni son père ni sa mère même en portrait puisque la photographie n'existait pas encore, mène une existence humble auprès d'une soeur acariâtre et de son mari, le bienveillant forgeron Joe Gargery.
« Joe et moi, nous étions compagnons de souffrances » avoue Pip.
Un soir, dans le cimetière où l'enfant est venu s'incliner devant la tombe de ses parents, se produit un événement qui changera plus tard le cours de son existence : il est surpris par un vieux forçat fraîchement échappé de prison et trainant sa chaine, qui le contraint violemment à aller chercher des outils dans la forge pour scier ses entraves et l'aider dans sa fuite.
Ainsi commence l'histoire que nous raconte Pip. Il n'est alors qu'un petit orphelin de sept ans, tyrannisé par sa soeur et habitué aux mauvais traitements. Partagé entre la terreur et la pitié, il va aider ce forçat en cavale sans rien dire à personne...
Un an après ces terribles événements, le timide et trop sensible Pip est expédié par sa soeur chez une riche dame de la ville voisine, qui a le caprice bizarre de voir «jouer un petit garçon». Miss Havisham, c'est son nom, n'a plus quitté sa robe de mariée depuis que son futur mari l'a abandonnée. Elle vit dans une inquiétante demeure fermée à la lumière du jour. C'est là que Pip fait une seconde et fatale rencontre, celle de la belle et froide Estella, une jeune demoiselle adoptée par Miss Havisham, qui la dresse à briser le coeur des hommes. Et il semble si facile de briser le coeur de Pip ! qui en tombe éperdument amoureux. En même temps, le regard méchant qu'Estella lui porte lui fait ressentir son infériorité sociale.
« Son air de complète supériorité en marchant à côté de moi, et mon air de soumission et de naïveté en marchant à côté d'elle formaient un contraste que je sentais parfaitement. Il m'eût encore fait souffrir davantage si je ne l'avais considéré comme venant absolument de moi, qui étais si éloigné d'elle par mes manières, et en même temps si rapproché d'elle par ma passion… Mais l'air d'inaccessibilité que lui donnaient sa beauté et ses manières me tourmentait au milieu de mon bonheur ; cependant j'avais l'assurance intime que notre protectrice Miss Havisham nous avait choisis l'un pour l'autre…Quel bonheur ce serait de vivre près d'elle, tout en sachant que je ne serais jamais heureux avec elle, mais toujours misérable…Elle se servait de moi pour tourmenter ses autres admirateurs…Elle était destinée à assouvir la vengeance de Miss Havisham sur les hommes, et elle ne me serait pas donnée avant qu'elle ne l'eût satisfaite pendant un certain temps. »
Mais un nouveau rebondissement va changer le cours de sa vie. Alors qu'il est devenu un apprenti forgeron mécontent de son sort, incapable d'apprécier à leur juste valeur l'affection de son maître et beau-frère, Joe Gargery, un homme bon et de raison, et celle de la charmante Biddy, à qui il doit de savoir lire et écrire, il apprend de la bouche d'un mystérieux homme de loi, un certain Jaggers venu tout exprès de Londres, qu'une personne, souhaitant garder l'anonymat, lui offre les moyens de se métamorphoser en homme du monde. Si Pip accepte de quitter son village pour la capitale et d'y recevoir une véritable éducation, il a désormais devant lui... de grandes espérances, une vraie fortune que lui laisse un bienfaiteur anonyme. Avec la promesse d'être ainsi enrichi, Pip part pour la capitale, laissant derrière lui sa pauvreté, sa famille, son enfance.
À Londres, Pip étudie auprès de Matthew Pockett, tuteur excentrique mais efficace, fait des rencontres, acquiert les attitudes de son nouveau rang social et expérimente la vie mondaine, la plupart du temps en servant d'escorte à Estella. Il est convaincu que son bienfaiteur anonyme est la vieille Miss Havisham qui le met sans cesse en contact avec la belle Estella, l'incitant ainsi à l'aimer. Or Estella, entourée de nombreux prétendants, essaie de lui faire comprendre qu'elle a été éduquée dans le seul but de nuire aux hommes.
Dépité, Pip subit une autre déception, immense cette fois, lorsqu'il découvre enfin et avec horreur la véritable identité de son mécène. Et il comprend enfin que Miss Havisham s'est jouée de lui, animée par le besoin de faire souffrir les hommes et ainsi se venger de son propre fiancé qui l'a abandonnée le jour même de leur mariage.
En s'échappant de prison, où il est retourné après sa fugue, afin de rencontrer son protégé, le forçat Abel Magwitch met sa vie en péril et Pip doit faire face à la réalité : son protecteur n'est qu'un vulgaire criminel. Et Miss Havisham l'a trompé ; Estella ne l'aimera jamais ; il a cru aux valeurs d'une société superficielle et hypocrite ; il a trahi sa famille, ses racines. Il décide alors d'emmener loin d'Angleterre cet évadé encombrant. Mais, lors de leur périple, il apprend de lui les relations complexes qui lient tous les protagonistes de son histoire : l'identité de la mère d'Estella, les circonstances de sa naissance, le nom du fiancé qui a trahi Miss Havisham. Il ressent aussi la compassion qui est due à un homme traqué, blessé et condamné à la potence. Après de nombreuses et souvent violentes péripéties, il comprend enfin que la bonté du coeur est le bien le plus précieux et ne dépend nullement du statut social.
L'analyse :
Pip est un jeune garçon rêveur et sensible. Élevé par une soeur revêche et un beau-frère d'une nature excellente mais tenu sous la coupe de cette maîtresse femme, il aime à traîner au cimetière où sont enterrés ses parents. Les pierres tombales, bien évidemment, ajoutent à l'atmosphère lugubre de l'Angleterre dépeinte par Dickens, toile de fond au récit de l'ascension sociale de Pip. Enfant, avant même qu'un héritage inattendu éveille en lui "de grandes espérances", il voit le monde à travers le filtre étrange de son imagination qui frise parfois le surnaturel et le prédispose à la rencontre avec deux êtres qui vont transformer sa vie : un forçat évadé, figure qui reparaîtra de manière récurrente, et Miss Havisham, vieille folle implacable qui n'a de cesse, pour venger sa jeunesse bafouée, d'exhorter Estella à briser le coeur de toute la gent masculine. C'est chez elle, dans une demeure au temps assassiné, qu'il fera l'apprentissage des bassesses de la nature humaine.

Dickens signe là un de ses derniers romans de sa plume si caractéristique : reconnaissances, filiations inattendues, considérations morales, thème de l'orphelin, paternités de substitution et autres motifs bien prévisibles qui ne lassent pourtant jamais, tant la fraîcheur et l'humour de la langue renouvellent sans cesse le ressort de ce récit aux mille rebondissements.
Roman de la maturité d'un Dickens déjà célèbre, "Les grandes espérances" puise largement dans la propre histoire de l'auteur. Il raconte l'ascension d'un jeune homme, pauvre et passablement maltraité par une soeur aînée. Dans la forge de Joe le forgeron, Pip se morfond et rêve d'une vie meilleure. Ce jusqu'au jour où il apprend qu'il est porteur de "grandes espérances", sous la forme d'un protecteur anonyme. Lorsque notre jeune homme va apprendre d'où vient sa bonne fortune, il va perdre brusquement ses illusions et devenir ce qu'il aurait dû être depuis longtemps : un homme, pourvu de toutes les qualités devant lui permettre de conquérir par ses propres moyens la fierté d'exister.
Roman initiatique, "Les grandes espérances" contient une belle galerie de personnages grotesques hauts en couleurs. le délicieux humour si caractéristique de Charles Dickens, cette façon de dire les pires incongruités avec le plus grand sérieux (qu'on appelle à tort "humour anglais"), est présent à toutes les pages.
En un long et convulsif processus de changement, les thèmes conflictuels, classiques chez Dickens, de la richesse et de la pauvreté, de l'amour et du rejet, du snobisme et de l'amertume, finissent par céder peu ou prou le pas au pouvoir de la bonté et à sa victoire sur les forces de l'obscurantisme et du mal. Malgré quelques longueurs et situations un peu alambiquées, ce grand roman de 740 pages est un agréable moment de lecture, et une belle leçon de vie...


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