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Critique de gerardmuller


Les bijoux indiscrets/Denis Diderot
Des bijoux indiscrets pour un érotisme discret.
On connaît Diderot philosophe et savant au savoir encyclopédique. Son éclectique curiosité l'a conduit aussi jusqu'aux rives de la littérature libertine. Son désir d'étonner, de surprendre et même de choquer est à l'origine de ce roman exotique et fantaisiste comme c'était la mode à ‘époque, dont il disait qu'il avait pour but « délassement et dissipation ». Mais pas seulement. En effet l'étude de moeurs et coutumes des contrées où se déroule l'action amène notre auteur à mener une réflexion philosophique tout en se livrant à une satire de son temps. Ne disait-on pas qu'il s'agissait « d'un roman frivole où s'agitaient des questions graves. » Cet écrit fut la première oeuvre romanesque de Diderot.
Il faut savoir que la période allant de 1742 à 1750 a vu fleurir un très grand nombre de romans coquins.
Diderot fit publier en 1748 sans nom d'auteur ni d'éditeur. Mais le secret fut vite démasqué. Imaginez alors la polémique qui fait sourire aujourd'hui !
Mangogul, (sous entendez Louis XV) le sultan, personnage considérable, dispose d'une bague magique pour inciter le bijou à la confidence, sauf si un caveçon a été mis en place par un conjoint soupçonneux parti guerroyer.
Les bijoux auxquels il est fait allusion sont l'arme absolue qu'utilisent les femmes qui font la chattemite à des fins diverses et inavouées : aussi bien pour des délices amatoires que pour effacer une dette au jeu de cavagnole et n'importe quel maroufle, faquin ou premier robin venu peut être appâté et accoisé par cet irrésistible leurre.
Mais gare au caquet des bijoux, ces harangueurs qui sommeillent sous les vertugades, que le madré Mangogul sait faire parler !
L'humour est omniprésent dans toutes ces lignes de cette allégorie tout en retenue mais tout à fait scabreuse :
Sophie à Zélide « deux femmes dévotes de profession, conduisant leurs intrigues avec toute la discrétion possible » :
« J'ai tout tenté pour concilier la réputation et les plaisirs. Mais puisqu'il est dit qu'il faut renoncer à la réputation, conservons au moins les plaisirs. »
Mangogul en grande conversation avec sa favorite Mirzoza, se livre à une série de définitions savoureuses :
« La femme sage serait celle dont le bijou est muet où n'en est pas écouté.
La prude, celle qui fait semblant de ne pas écouter son bijou.
La galante, celle à qui le bijou demande beaucoup et qui lui accorde trop.
La voluptueuse, celle qui écoute son bijou avec complaisance.
La courtisane, celle à qui son bijou demande à tout moment, et qui ne lui refuse rien.
La coquette, celle dont le bijou est muet, ou n'en est point écouté, mais qui fait espérer à tous les hommes qui l'approchent, que son bijou parlera quelque jour et qu'elle pourra ne pas faire la sourde oreille. »
Les situations cocasses se succèdent et le sultan propose à son ami Sélim de savoir si Fulvia sont amante lui est fidèle : après avoir écouté le caquet du bijou de Fulvia, Sélim s'écrie dans un style théâtral :
« Ingrate, perfide, si je vous aimais encore, je me vengerais ; mais indigne de ma tendresse, vous l'êtes aussi de mon courroux ! »
Et à la favorite qui le veut consoler, il répond :
« Les femmes sont indéfinissables, et toutes me seraient odieuses si vous n'étiez comprise dans un sexe dont vous avez tous les charmes. Fasse Brama que vous n'en preniez jamais les travers ! »
le style sublime de Diderot rend magiques tous ces instants tragico-comiques.
Parfois le ton devient plus sérieux et critique envers la société : « …On jouait gros au jeu ; on s'endettait, on ne payait point, et l'on dépensait tant qu'on avait de l'argent et du crédit. On publia contre le luxe de très belles ordonnances qui ne furent point exécutées. On prit des villes, on conquit des provinces, on commença des palais et l'on épuisa l'empire d'hommes et d'argent. Les peuples chantaient victoire et se mourraient de faim. Les grands avaient des châteaux superbes et des jardins délicieux, et leurs terres étaient en friche… »
Un petit chef d'oeuvre d'humour libertin mais pas seulement.

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