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Critique de Berthelivre


Ce livre, écrit par Georges Didi-Huberman, a obtenu le prix Médicis Essai 2022. L'auteur est philosophe et historien de l'art. Il enseigne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
« le témoin jusqu'au bout » sur lequel il écrit est Victor Klemperer. J'avais déjà entendu le nom d'Otto Klemperer, chef d'orchestre, mais pas celui de Victor, son cousin.

Victor Klemperer (1881-1960) était allemand, juif, écrivain et philologue. Il a vécu à partir de 1920 à Dresde où il a assisté à la montée du nazisme, où il a connu toutes les discriminations imposées aux Juifs, où il a pu échapper à la déportation, où il a subi les bombardements alliés de février 1945.
Dès 1933, il a noté ses observations dans son Journal, sur le nazisme, la brutalité du régime, l'oppression des Juifs, la vie amoindrie, persécutée et angoissée qui était devenue la sienne, et en tant que philologue, sur la langue allemande transformée par le totalitarisme hitlérien.

G. Didi-Huberman analyse et commente ce Journal et, dans une moindre mesure, l'essai que Klemperer a publié en 1947, à partir de ce journal : LTI (Lingua Tertii Imperii -Langue du Troisième Reich).

Le Journal que Klemperer appelle ses « soldats de papier », qu'il tient de 1933 à 1945 alors que le fait même de l'écrire le met en danger de mort, doit, dans son intention, atteindre deux objectifs : d'abord étudier le langage en usage et démontrer que l'allemand fabriqué, diffusé, parlé, pendant cette période, est une langue transformée, à la fois appauvrie et boursouflée, à l'image de l'idéologie du régime hitlérien. Ce volet-là du Journal sera à la base de l'élaboration du livre « LTI ».
Ensuite témoigner de ce qu'a été la vie à Dresde pendant ces douze années. Témoigner au jour le jour, et pas seulement des faits, mais aussi des émotions que lui, Victor Klemperer, juif persécuté, a ressenties. Dépression, abattement, peur, colère, indifférence, angoisse, dégout, sidération… Car ces émotions participent de l'Histoire, elles lui appartiennent et elles la construisent, au même titre que les discours, les textes, les évènements, les exactions.

Il semble que le « Journal » ait eu un troisième effet : permettre à son auteur de conserver un intérêt à sa vie de pestiféré en danger permanent. Trouver un tout petit peu d'espoir dans le fait d'écrire : espoir de survivre et de pouvoir présenter son témoignage, ou au pire, de le laisser à d'autres, pour après. L'effet salvateur de l'écriture dans les pires moments…

L'essai de Georges Didi-Huberman donne passionnément envie de lire Victor Klemperer, son Journal en particulier. Et il donne les clés pour en apprécier l'importance sous toutes ses facettes.

« (…) il nota, dès les premières pages de son Journal : « Dans un magasin de jouets, un ballon d'enfant avec la croix gammée » (30 mars 1933). Un simple ballon d'enfant dans un magasin de jouets ? Une toute petite chose, en effet, si l'on voulait, par exemple, exprimer d'un coup toute l'ampleur de la tragédie politique et humaine de ce temps. Cette image attrapée au vol semblera donc minuscule, voire ridicule comparée au phénomène historique où elle s'inscrit. Mais pour Klemperer, elle n'en représentait pas moins le cristal – l'un parmi des myriades d'autres – de toute la situation. »

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