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EAN : 9782707347541
160 pages
Editions de Minuit (03/03/2022)
4.88/5   8 notes
Résumé :
Être témoin : être sensible. En quel sens faut-il l’entendre ?

Dans un procès, on ne demande au témoin que d’être précis, puisque ce sont des faits qu’il s’agit de rendre compte. Mais celui qui décide de témoigner contre vents et marées, sans que personne ne lui ait rien demandé, se tient dans une position différente : il porte aussi en lui l’exigence d’un partage de la sensibilité. Il considère implicitement que ses émotions constit... >Voir plus
Que lire après Le témoin jusqu'au bout : Une lecture de Victor KlempererVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ce livre, écrit par Georges Didi-Huberman, a obtenu le prix Médicis Essai 2022. L'auteur est philosophe et historien de l'art. Il enseigne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
« le témoin jusqu'au bout » sur lequel il écrit est Victor Klemperer. J'avais déjà entendu le nom d'Otto Klemperer, chef d'orchestre, mais pas celui de Victor, son cousin.

Victor Klemperer (1881-1960) était allemand, juif, écrivain et philologue. Il a vécu à partir de 1920 à Dresde où il a assisté à la montée du nazisme, où il a connu toutes les discriminations imposées aux Juifs, où il a pu échapper à la déportation, où il a subi les bombardements alliés de février 1945.
Dès 1933, il a noté ses observations dans son Journal, sur le nazisme, la brutalité du régime, l'oppression des Juifs, la vie amoindrie, persécutée et angoissée qui était devenue la sienne, et en tant que philologue, sur la langue allemande transformée par le totalitarisme hitlérien.

G. Didi-Huberman analyse et commente ce Journal et, dans une moindre mesure, l'essai que Klemperer a publié en 1947, à partir de ce journal : LTI (Lingua Tertii Imperii -Langue du Troisième Reich).

Le Journal que Klemperer appelle ses « soldats de papier », qu'il tient de 1933 à 1945 alors que le fait même de l'écrire le met en danger de mort, doit, dans son intention, atteindre deux objectifs : d'abord étudier le langage en usage et démontrer que l'allemand fabriqué, diffusé, parlé, pendant cette période, est une langue transformée, à la fois appauvrie et boursouflée, à l'image de l'idéologie du régime hitlérien. Ce volet-là du Journal sera à la base de l'élaboration du livre « LTI ».
Ensuite témoigner de ce qu'a été la vie à Dresde pendant ces douze années. Témoigner au jour le jour, et pas seulement des faits, mais aussi des émotions que lui, Victor Klemperer, juif persécuté, a ressenties. Dépression, abattement, peur, colère, indifférence, angoisse, dégout, sidération… Car ces émotions participent de l'Histoire, elles lui appartiennent et elles la construisent, au même titre que les discours, les textes, les évènements, les exactions.

Il semble que le « Journal » ait eu un troisième effet : permettre à son auteur de conserver un intérêt à sa vie de pestiféré en danger permanent. Trouver un tout petit peu d'espoir dans le fait d'écrire : espoir de survivre et de pouvoir présenter son témoignage, ou au pire, de le laisser à d'autres, pour après. L'effet salvateur de l'écriture dans les pires moments…

L'essai de Georges Didi-Huberman donne passionnément envie de lire Victor Klemperer, son Journal en particulier. Et il donne les clés pour en apprécier l'importance sous toutes ses facettes.

« (…) il nota, dès les premières pages de son Journal : « Dans un magasin de jouets, un ballon d'enfant avec la croix gammée » (30 mars 1933). Un simple ballon d'enfant dans un magasin de jouets ? Une toute petite chose, en effet, si l'on voulait, par exemple, exprimer d'un coup toute l'ampleur de la tragédie politique et humaine de ce temps. Cette image attrapée au vol semblera donc minuscule, voire ridicule comparée au phénomène historique où elle s'inscrit. Mais pour Klemperer, elle n'en représentait pas moins le cristal – l'un parmi des myriades d'autres – de toute la situation. »

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L'histoire de Viktor Klemperer pourrait s'appeler "Les tribulations d'un juif allemand, ou allemand juif, en Allemagne Nazi".

Klemperer, professeur en université, était un juif allemand, fils d'un rabbin, qui s'est converti au protestantisme lorsqu'il s'est marié avec une femme allemande protestante. Klemperer a subi, pendant toute la durée de la période nazie, tout type 'humiliation d'interdictions qui lui ont rendu la vie extrêmement pénible.

Les objectifs premiers de Klemperer pendant toute la durée du régime Nazi, de 1933 jusqu'à 1945, étaient d'abord son journal, où il avait enregistré toutes ses observations et l'étude de l'impact d'un régime dictatorial, tel le nazisme, sur le langage : la philologie était sa spécialité. Son journal était sa façon obsessionnelle de témoigner jusqu'au bout ce qu'il a vécu. Il s'intéressait surtout aux petits détails de la vie sous un tel régime - les grands étaient déjà connus.

Pour donner une idée des difficultés, il devait cacher ses manuscrits dans des cachettes pour ne pas être saisis par la police, ou même détruire une partie. Il n'avait pas accès à ses sources bibliographiques. Mis en prison pour ne pas avoir calfeutré son appartement, ses lunettes ont été confisquées et il n'avait pas de quoi écrire. D'où la phrase dans une citation : "Je grimpe le long de mon crayon pour sortir de l'enfer". Son appartement a été réquisitionné pour héberger des aryens de souche.

De son journal, il a tiré deux livres : "LTI - Lingua Tertii Imperii" et son journal. Vivant à la RDA après la guerre et pour des raisons de censure et manque de liberté d'expression, il n'a pu publier que la partie scientifique de son journal, en 1947. Son journal n'est paru qu'après la chute du mur de Berlin. En français, cela fait deux volumes de 800 et 1060 pages.

LTI est, me semble-t'il, à l'origine de la "Novlangue" du livre 1984 de George Orwell.

Sur le vécu de Klemperer, il y a, à mon avis, deux livres intéressants à lire : "La langue confisquée" de Laurent Joly et celui-ci. le premier donne la lecture d'un historien qui s'intéresse surtout à la partie LTI. Celui-ci donne la lecture de son journal par un philosophe, qui va même au déjà de la philosophie puisque, me semble-t'il, il déborde sur le côté psychologique et spirituel de Klemperer, sur sa personne.

J'ai déjà lu plusieurs livres de Didi-Huberman et, finalement, quand on voit l'ensemble on peut se dire qu'il est aussi comme Klemperer : ses livres délivrent ses réflexions sur des "petits détails" de l'histoire : celui-ci, Éparses, Désirer Désobéir, Imaginer Recommencer, Écorces, Peuples en Larmes peuples en armes, Images malgré tout, ... Des "petits détails" qui font le "tout" de la vie des gens.

Les livres de Didi-Huberman sont des livres qui se lisent assez facilement, mais il faut les lire à "faible vitesse".
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Du très grand nombre d’exemples convoqués par Klemperer, on peut extraire deux caractéristiques fondamentales de cette langue totalitaire. La première caractéristique est sa "pauvreté" intrinsèque (…)
Ainsi la langue du III° Reich réifie, mécanise toute humanité – et pour cela, elle devra se mécaniser elle-même. Sa pauvreté sera dureté inamovible, absence de fluidité ou de plasticité.
(…)
Tout cela pour tout dire – pour dire que tout est désormais « total » - de façon à la fois brève et hyperbolique, impérieuse et prétentieuse. Le paradoxe de la langue du III° Reich, c’est qu’elle ne fut « pauvre » qu’à induire cette autre caractéristique fondamentale qu’était « l’enflure ». Il ne suffisait plus d’être Allemand, il fallait être fanatiquement Allemand.
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(p.113-115)
"Je grimpe le long de mon crayon pour sortir de l'enfer"

Puis un brigadier se présente, venu d'on ne sait où (comme dans les récits de Kafka). Il a dû lire sur un formulaire que le prisonnier était professeur d'université. Il l'interroge sur le motif de son incarcération. "Black-out. - Mais en professeur distrait, vous avez déjà dû payer cinq ou six amendes ? Non, jamais, c'était la première inadvertance au bout d'un an et demi. - Impossible". Pause. "Ah ! mais alors, vous devez être non aryen ? - Monsieur le brigadier, [...] on m'a pris mon livre et mes lunettes. Mais si je pouvais seulement avoir un crayon et un peu de papier. - Vous devriez plutôt méditer sur vos péchés", a-t'il répondu en riant. Puis il a sorti un petit bout de crayon de sa poche et l'a examiné. "Je vais le tailler et je vous donnerai une feuille de papier." Et de fait, tout de suite après, il m'a apporté crayon et papier. À cet instant, mon monde a été aussi fortement transformé qu'au moment où la porte de la prison s'était refermée. Tout était redevenu plus clair, oui, presque lumineux."

Et voici que l'écrivain se révélait dans sa passion la plus simple, la plus enfantine : il lui suffisait d'un bout de crayon et d'une feuille de papier pour que le monde s'éclaircisse - relativement, bien sûr - et ouvre des passages à travers les portes blindées, les murs de béton, l'oppression carcérale et policière. Le prisonnier était maintenu à l'état de presque immobilité dans sa cellule, certes. Mais le crayon pouvait voyager sur le papier, les mots prendre le large, la pensée se remettre en route, l'imagination extravaguer vers des séjours désirés. "Ce n'est qu'en fin d'après-midi que je me suis servi du crayon - ma première notice, plus pathétique et plus longue que toutes celles qui devaient suivre, disait : je grimpe le long de mon crayon pour sortir de l'enfer des quatre derniers jours et revenir sur terre.
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Allemand de tout son cœur et de toute sa vie, Victor Klemperer s’est vu, du jour au lendemain, exclu de la société allemande et persécuté, menacé de mort par son régime politique élu. Cela parce qu’il était Juif. Il était fils de rabbin, en effet. Pourtant, adulte, il avait fait des choix typiques de sa génération : il avait épousé une protestante et s’était, par ailleurs, assez tôt converti au protestantisme – la condition habituelle pour avoir une chance d’obtenir un poste dans l’université d’alors. Radicalement allemand (par langue et par culture) et radicalement non religieux (par esprit des Lumières), on le verra cependant, au cours de son Journal, et les conditions de vie empirant dramatiquement, réfléchir de façon de plus en plus aiguë à la condition existentielle d’où son malheur découlait, sa condition d’être juif.
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La réponse implicite de Klemperer (…) est que les émotions méritent d’être rappelées au même titre que tous les autres documents pour l'histoire. Elles apparaissent dans les âmes et dans les corps parallèlement aux faits effectifs qui adviennent dans la réalité concrète et aux faits de langue échangés dans l’espace social : comme des symptômes, en somme. (…) Rendre compte d’une situation, d’une atmosphère, d’un milieu d’histoire, c’est n’oublier, avec les faits ou les actes concrets qui s‘égrènent dans la chronologie, ni les faits de langue ni les faits d’affect qui leur sont concomitants.
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(p. 30)

Pour réagir de façon raisonnable, il faut en premier lieu avoir été "touché par l'émotion"; et ce qui s'oppose à l'"émotionnel", ce n'est pas en aucune façon le "rationnel", quel que soit le sens du terme, mais l'insensibilité, qui est fréquemment un phénomène pathologique, ou encore la sentimentalité, qui représente une perversion du sentiment."

(citant Hannah Arendt, du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine)
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Vidéo de Georges Didi-Huberman
Georges Didi-Huberman vous présente son ouvrage "Faits d'affects. Vol. 2. La fabrique des émotions disjointes" aux éditions de Minuit. Entretien avec Jérémy Gadras.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/3041190/georges-didi-huberman-faits-d-affects-vol-2-la-fabrique-des-emotions-disjointes
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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