La liberté, quand on y est brusquement jeté, est si vaste qu'on s'y sent perdu.
Combien de fois ai-je pleuré à l'issue d'un parloir ! C'est à la fois merveilleux et frustrant, les parloirs. On est comme paralysé par le bonheur douloureux de se voir. C'est si fort qu'on se dit peu de choses. Des banalités. On se raconte la vie quotidienne - la mienne était toujours la même -, les nouvelles importantes - une naissance, un décès. Mais on n'a pas le coeur à parler de tout le reste, de tout ce qui fait le sel de la vie. Et quand il faut se quitter, la peine est immense.
Mes parents n'ont jamais manqué un parloir, et je suis sûr que si la roue de mon destin ne s'était pas bloquée, soudain, puis remise à tourner dans le bon sens, ils n'en n'auraient manqué aucun jusqu'à la fin.
Je préfère témoigner , encore et encore. Continuer à raconter mon histoire, pour que chacun comprenne que l'injustice s'est abattue sur un pauvre garçon comme des millions d'autres ; pour que ceux qui sont chargés de traquer les criminels n'oublient jamais que de leurs "intuitions" dépendent des vies entières ; et pour que ceux qui doivent faire appliquer la justice sachent à quoi ressemble l'injustice.
Je ne suis ni aigri ni en colère. Je m'y refuse. L'aigreur et la colère rongent les hommes. Cela en surprendra sans doute certains, mais la condamnation à perpétuité de Francis Heaulme pour le meurtre d'Alexandre et de Cyril ne change rien pour moi. Je n'ai jamais eu de désir de revanche. Ma revanche envers ceux qui ont pris une partie de ma vie, c'est ce que je suis devenu aujourd'hui : un homme apaisé, autant que possible, et fier de s'appeler Patrick Dils