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Critique de berni_29


« Approche petit, approche que je te parle aujourd'hui de l'abeille. »
Le vieil homme ouvrit le livre, des images, des dessins d'animaux, des insectes, des oiseaux, peuplaient les pages, couraient, prenaient leur élan, prêts à s'envoler...
« Dis, grand-père, ce sont bien les abeilles qui autrefois donnaient le miel ?
- Oui, c'était comme cela qu'on produisait le miel avec ta grand-mère. Tu te rappelles, je t'ai montré les ruches au fond du jardin. Elles sont désormais vides... »
Une ombre mélancolique traversa le visage du vieil homme, son regard perdu dans le vague.
« On les entendait bourdonner du matin jusqu'au soir... C'était comme un chant qui se mélangeait à celui des oiseaux.
- Des oiseaux ? Il y avait des oiseaux dans le jardin ?
- Oui, un vrai festival, avec des variétés différentes. Des rouges-gorges, des mésanges, des pies, des geais, des roitelets... Une vraie volière ! Ça piaillait, ça jacassait, ça sifflait à tue-tête. Avec ta grand-mère on ne s'entendait parfois plus parler, mais je préférais cela au silence d'aujourd'hui. C'est terrible, le silence.
- Pourquoi les oiseaux ont-ils disparu ?
- C'est à peu près pour les mêmes raisons que les abeilles ont disparu. Les pesticides ont détruit tous les insectes et les oiseaux avaient besoin aussi d'insectes pour se nourrir. Même les mouches aussi ont disparu. Je regrette le temps où elles nous agaçaient, c'était à cause des vaches dans le champ du voisin. »
Le vieil homme s'est mis à rire.
« Les vaches ?
- Oui, tu sais bien, celles qui nous donnaient du lait. C'était comme cela autrefois, pas comme maintenant...
Une autre page se tourna, avec des vagues, des embruns, la mer bleue, l'horizon à perte de vue... Puis, au détour de la page vinrent des baleines, des tortues de mer, des dauphins...
« Et les baleines aussi ont disparu ?
- Oui comme la plupart des espèces maritimes. Là c'est une autre histoire, c'est à cause des plastiques qui pullulaient les océans, sans compter les pêches industrielles, même celles interdites... »
L'enfant continua de tourner les pages du livre et immobilisa son regard sur le dessin du loup. Un magnifique loup blanc.
« Je me souviens que tu me racontais l'histoire du loup quand j'étais plus petit. Lui aussi a disparu ?
- Ils ont fini par les exterminer jusqu'aux derniers... C'était une louve avec ses petits... Ils pensaient bêtement que les loups ne pouvaient pas cohabiter avec les humains.
- Et nous, grand-père, est-ce qu'on va disparaître, nous aussi ?
Il y eut un long silence.
Le vieil homme demeura muet, les yeux perdus dans le vague. C'est terrible, le silence...
C'est alors que je me suis réveillé en sursaut, je venais de faire un cauchemar. Sur la table de chevet il y avait ce livre formidable, Animal, de Cyril Dion, dont je venais d'achever la lecture la vieille au soir... Un livre inspirant, pédagogique, fouillé, riche d'exemples et de pratiques...
Si le climat est devenu un sujet incontournable, une autre crise écologique, sans doute aussi grave, est encore largement absente des préoccupations des politiques et de nous autres citoyens du monde : c'est celle de la destruction accélérée du vivant.
Les scientifiques appellent cette grande crise écologique la sixième extension de masse des espèces.
Ces quarante dernières années 68% des populations d'animaux sauvages vertébrés ont disparu. Et l'hécatombe est loin d'être terminée, elle ne fait peut-être que commencer... En réalité, nous ne sommes pas à proprement parler entrés dans cette sixième extinction (une extinction de masse suppose la disparition de 75% des espèces), mais le rythme auquel les espèces disparaissent pourrait nous y conduire d'ici la fin du siècle. Alors le petit conte que j'avais imaginé pour introduire mon billet ne serait plus du tout une dystopie. Alors notre monde pourrait devenir inhabitable.
Animal est un livre qui nous parle de cela, nous emmène dans un voyage à travers le monde pour comprendre ce phénomène, remonter à la source du problème : notre relation au monde vivant, mais surtout imaginer comment nous pourrions l'enrayer.
Pourquoi ces espèces disparaissent-elles exactement ? Que pouvons-nous faire pour l'éviter ? Avons-nous notre part de responsabilités ? Avons-nous le droit de laisser faire ça (moralement, éthiquement, philosophiquement) ? À quoi servent toutes ces espèces ? Comment décider de les protéger ou d'empêcher de les éradiquer ? Comment renouer une relation avec le vivant ? En quoi pouvons-nous devenir acteur de ce changement, redevenir acteur de la destinée de notre humanité ?
C'est un peu à toutes ces questions que ce livre tente de répondre, d'une manière simple et didactique au travers de rencontres qui nous entraînent aux quatre coins de la planète.
Le livre nous met en immersion au coeur du réacteur. Nous visitons des élevages intensifs, nous essayons de comprendre comment on a pu en arriver là, à cette folie de la consommation, du toujours plus... le ton n'est pas accusateur, ni moralisateur. Comprendre notre part de responsabilités sans montrer du doigt.
Les belles rencontres de ce livre, ce sont aussi celles d'éminents et passionnants biologistes, des climatologues, des anthropologues, des philosophes, des naturalistes, des activistes...
Chaque rencontre donne lieu à un voyage. Nous rencontrons ce paysan qui a décidé de convertir toutes ces terres en agriculture biologique suite à un accident avec un herbicide. Nous rencontrons d'autres paysans qui mettent en place des écosystèmes différents et possibles. Nous entrons dans les coulisses du Parlement européen où se trament les lobbyings. Nous faisons la connaissance d'avocats activistes sur une plage près de Bombay devant un océan de plastique. Dans le Jura, des scientifiques parlent à des bergers et brusquement le dialogue s'instaure autour du thème du loup. Plus loin c'est au Canada sur une île dans le sud de l'Alberta que nous rencontrons une biologiste qui a su réintroduire sur ce territoire fragile une variété de renard gris qui avait disparu, le pygargue à tête blanche, le cochon sauvage, réinventer un écosystème qui était présent sur l'île du temps des Chumash, les Amérindiens qui vivaient sur l'île autrefois... J'ai aimé aussi cette rencontre avec l'éthologue britannique Jane Goodall, qui sait nous transmettre avec l'acuité de son engagement sa fascination pour le monde naturel.
Et puis arrive ce beau chapitre intitulé « Réensauvager et restaurer les habitats », qui m'a fait penser au livre que vient de chroniquer Sandrine (alias HundredDreams), Réensauvager la nature pour sauver la planète, dont la lecture de son merveilleux billet m'a donné envie de m'atteler à l'écriture de celui-ci, comme un écho... Ici ce chapitre nous montre cette très belle expérience du Costa Rica qui a réussi à entreprendre un reboisement de son territoire et développer des actions remarquables en faveur de l'environnement grâce à une politique volontariste, citant par exemple cette collaboration avec les indiens Brörán.
Le lien qui couture toutes ces histoires, c'est le vivant toujours.
Comment nous reconnecter avec le vivant ? Cette question est au centre d'Animal.
Ici des femmes des hommes, rencontrés aux quatre coins de la planète, qui agissent par des initiatives remarquables, transmettent l'espoir et l'enthousiasme, redonnent foi en l'humanité. Nous en avons plus que jamais besoin.
Le livre pose des questions sociétales essentielles : le changement doit-il passer par nous-mêmes ou par la loi ?
Face à des problèmes qui engagent le pronostic vital de l'humanité, devant l'inaction des gouvernements ou leurs mobilisations homéopathiques, on se dit alors que c'est à nous d'opérer la métamorphose.
Avec nos petits bras, nos petits pas sur le rivage des océans, avec nos petits jardins, nos petits balcons, nos enfants...
Parce que nous faisons partie du monde des vivants.
Agir à petits pas, c'est faire sa part du colibri.

« La question n'est pas seulement : « quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? » mais aussi : « Quels enfants laisserons-nous à notre planète ? » Pierre Rabbi
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