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Critique de colka


colka
07 novembre 2018
Désorientale, un titre qui m'a interpellée par ce qu'il évoque de prime abord, c'est-à-dire l'idée de perte : perte des repères ? perte de soi ? C'est de tout cela, mais pas seulement, qu'il est question dans le roman de Négar Djavadi. Roman déroutant aussi pas sa structure arachnéenne car il se déroule sur trois époques qui s'entrecroisent au gré de la narration : l'histoire des ancêtres de Kimiâ, la narratrice, celle de sa famille et d'elle-même lors de leur fuite d'Iran et de leur exil en France et enfin celle de Kimiâ et de ses soeurs devenues adultes.
Le premier temps fort du roman est pour moi l'histoire de ses ancêtres aux allures de conte oriental que l'auteure s'amuse à parodier avec beaucoup de plaisir. C'est ainsi que l'on fait connaissance avec des personnages fabuleux : Montazemolmolk, seigneur féodal qui n'est pas sans rappeler Barbe-Bleu ou Oncle N°2 (appelé ainsi par ses nièces), dépositaire de l'histoire familiale et qui, en bon comédien, règle au fil de sa narration, ses effets de scène -larmes et autres mimiques- sur son auditoire. le tragi-comique est donc toujours très présent sous la plume de l'auteure et les situations ubuesques où rire et larmes se mêlent inextricablement ne manquent pas ! Emergent aussi de cette saga familiale de beaux portraits féminins comme celui de Nour la grand-mère de Kimiâ, née d'un viol de Montazemolmolk sur une adolescente de quinze ans morte en couches,qui va devenir, au fil de sa vie une femme autonome et fera figure de chef de famille auprès de ses six fils !
Si l'oppression qui vise les femmes est, vous l'aurez compris, un thème qui traverse tout le livre, celui de l'oppression politique n'est pas moins présent. Et si l'auteure se livre à une vigoureuse dénonciation de la dictature du Shah puis de celle des mollahs, elle ne mâche pas ses mots non plus pour dénoncer non moins vigoureusement les atermoiements de la France et son aveuglement hypocrite devant l'instauration de tels régimes.
Mais le deuxième point fort du roman est pour moi tout ce qui touche à la fuite précipitée d'Iran de Kimiâ, sa mère et ses deux soeurs, à travers deux récits qui se font écho : celui de Sarah (la mère) et de Kimiâ. Deux passages très marquants où le suspense et les ressentis sont extrêmement bien mis en valeur par la plume de l'auteure qui court, s'emballe ou contraire analyse au plus près toute la palette des sentiments éprouvés lors de cette marche forcée : hébètement, atonie émotionnelle dans laquelle on plonge pour se protéger, peur animale, perte des illusions et des repères, traumatismes qui ne surgiront que plus tard au fil des cauchemars... Non moins émouvants sont les passages qui évoquent l'exil en France. Repliement sur lui-même du père de la narratrice, Darius, un beau personnage, pétri de contradictions. Opposant farouche du Shah puis du régime des mollahs, il le paiera de sa vie. Détresse de Sarah, la mère, qui voit sa famille partir à vau-l'eau et ne se sauvera momentanément que par l'écriture patiente et clandestine de son exil dans un livre Notre vie, devenu un succès en Iran auprès de tous ceux qui sont entrés en résistance. Perte des repères pour Kimiâ qui va plonger dans une marginalité qui anesthésiera pour un temps son trop plein de souffrance !
J'ai beaucoup aimé ce roman fort, émouvant, à la fois drôle et dérangeant et qui hélas évoque aussi une actualité brûlante ! Deux bémols : la complexité inutile de la structure à certains moments et l'évocation de deux thèmes celui de l'homosexualité et de la PMA, dont je comprends tout à fait qu'ils soient chers à l'auteur mais qui n'ont pas trouvé vraiment leur place dans le roman, du moins à mes yeux...
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