AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


Pas courant de voir un point d'exclamation dans un titre de livre. Ici, quand j'imagine cette exclamation dans la bouche de certains hommes, je ressens tout le mépris, la moquerie exprimés par ce signe de ponctuation, et je peux presque entendre le reste de la phrase : "mais à quoi ces êtres négligeables peuvent-ils donc bien servir ?"
La réponse de Chahdortt Djavann n'est pas tendre : dans son pays, l'Iran, pour les "hommes d'Allah", les femmes (puisque c'est bien d'elles qu'il est question) servent, au mieux, à faire des enfants et le ménage, au pire, d'objets sexuels jetables, violables, torturables et tuables à merci. "Tuez donc vos femmes, il n'y aura pas mort d'homme". Comme si ça ne suffisait pas, les femmes en Iran sont vues comme de si dangereuses tentatrices pour les hommes qu'il convient de les cacher sous des couches de voile et de vêtements amples (je ne comprendrai jamais ce paradoxe qui veut que le sexe dit "fort" faiblisse à la vue du moindre cheveu s'échappant d'un hidjab et soit aussitôt pris d'une irrésistible envie animale de coït. Mais soit).
Dans ce roman qui n'en est pas vraiment un, puisqu'il est à la fois témoignage et récit inspiré de faits réels, l'auteure commence par nous raconter sa "faute de naissance" qui marquera son destin, celle d'être née fille alors qu'on attendait d'elle qu'elle remplace le merveilleux frère décédé peu de temps auparavant. La voilà dotée d'une culpabilité ad vitam et d'une absence de pénis qui l'amènera des années plus tard à fuir son pays, et à écrire. Après nous avoir confessé son parcours (j'allais écrire "après s'être dévoilée", mais le jeu de mots est douteux), elle nous livre quatre récits, quatre destins de femmes qui basculent dramatiquement, pour un rien ou presque, pour avoir trop joué près d'une fontaine, pour avoir fui un mariage arrangé, enlevé son voile dans la rue ou avoir contredit son mari.

La condition – misérable, ignoble – des femmes en Iran est donc au centre de ce livre, qui est aussi une charge virulente (au vitriol, et ce n'est que justice – celles/ceux qui ont lu comprendront) contre le régime, l'Etat islamique des ayatollahs, qui bafoue allègrement les droits des femmes et de manière générale toutes les libertés fondamentales de tout qui oserait s'opposer à lui. Entre les lignes, on y lit tout l'amour d'une exilée pour son pays, celui d'avant 1979, avec son histoire, ses traditions, sa culture. On y apprend aussi son désarroi de déracinée qui ne se sent chez elle nulle part, "la désolation accablante qui [l']afflige" quand elle pense à ce qu'est devenu l'Iran, le "mélange de culpabilité congénitale et de rage impuissante qui [la] terrasse".
Ce sont précisément cette rage et cette tristesse qui font que l'auteure, dans un dernier chapitre, décide de s'affranchir de toutes les règles du roman et de revenir à la fiction pour terminer par un final fantasmé, utopique, tellement beau qu'on a envie d'y croire avec elle. Dans le silence assourdissant des gouvernements occidentaux, la littérature, l'écriture comme seules armes contre le totalitarisme, la fiction et l'imagination comme ultimes refuges contre l'obscurantisme religieux ?

La plume est sincère, la narration puissante, le texte marquant et nécessaire, et Chahdortt Djavann une femme (cet être sans pénis!) admirable d'audace et de lucidité.

En partenariat avec les Editions Grasset via Netgalley.
#Etcesêtressanspénis #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
Commenter  J’apprécie          634



Ont apprécié cette critique (60)voir plus




{* *}