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Critique de Lesparadisperdus


Le titre « Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive » lancé comme un anathème à la figure du lecteur m'a intrigué. En général j'y vois un mauvais présage pour ces livres dotés de patronymes à rallonge ( pour les films c'est la même chose ) et qui se vérifie souvent, à savoir que tout est contenu dans le titre. Si on a autant de choses à dire dans un titre c'est qu'on a pas grand chose à raconter par ailleurs. Bravant le danger et surtout mes propres préjugés je m'empare du livre et tente d'en savoir plus avec la quatrième de couverture. Réflexe classique et efficace. Et là je vois que cette sentence aux allures définitives vient d'Orson Welles. C'est donc un livre qui parle de cinéma. Il mérite que je ne fasse pas que passer. de quoi ça parle ? de gens et d'une époque qui ne sont plus. On parle d'un temps qu'on connu nos parents ( pour ceux d'entre nous qui ont une quarantaine d'années ) quand ils étaient jeunes. Les années 1960-1970.
Très vite à la lecture je me rends compte qu'il ne s'agit pas d'un livre nostalgique mais bien d'une sorte de radiographie d'une époque révolue, où le cinéma était à inventer, à réinventer, et où l'avenir d'un film se décidait en cinq minutes à une table de poker ou parce qu'on s'était soudain pris d'une amitié fulgurante pour quelqu'un qui avait le vague et fou projet de faire un film. Ca fonctionnait au coup de sang, au coup de coeur. le hasard ou la chance dominaient la partie. Alors que maintenant tout est très contrôlé : la promotion des films, la distribution, les interviews des acteurs ou chaque question est prévue d'avance, chaque réponse aussi...Chaque centime d'un film doit être également justifié avant et après sa sortie, risques calculés pesés mesurés. de qui s'agit-il ici?Au départ une bande de trois copains : Jean-Pierre Rassam futur producteur plein aux as, Claude Berri et Maurice Pialat. Au début ils sont amis et beaux-frères et puis tout vole en éclat. Et c'est alors toutes ces décennies et leur cortège de films emblématiques qui défilent devant nos yeux et prennent un éclairage différent : « Le vieil homme et l'enfant » qui fera de Berri une star et en même temps l'ennemi juré de Pialat. Pialat qui règlera ses comptes dans le film « A nos amours » en dépeignant la mère de Berri comme une femme absolument odieuse. Comme souvent la petite histoire, les petites histoires irriguent la grande, celle du cinéma, donnant tout son sens à la formule de Truffaut « Le cinéma est-il plus important que la vie ? ». On serait bien en peine d'y répondre en lisant le livre de Christophe Donner et lui même se garde bien de le faire. La vie des uns et des autres nourrit leur cinéma à moins que ce ne soit la fiction qui s'invite dans ces vies parfois rocambolesques. Christophe Donner suit le rythme effréné d'un Rassam qui pense avoir le monde à ses pieds parce que son culot n'a d'égal que son fric, redoutable séducteur qui obtient tout de tout le monde mais n'arrive pas à garder en vie sa petite amie qui se suicide par désespoir. Rassam qui donne, Rassam qui décide, Rassam qui prend et qui reprend à l'origine de haines et de passions tout aussi violentes. On est littéralement fasciné par ce type et ce(ux) qu'il entraîne dans son sillage. On voit à l'oeuvre ici une totale liberté de ton et de mouvement à cent mille lieux du monde du cinéma contemporain. Rassam le démiurge et Rassam le dernier nabab ( l'expression prend ici tout son sens ) auprès de qui tout le monde viendra se brûler les ailes. Christophe Donner réussit à la fois à s'effacer derrière ce personnage envahissant et à s'affranchir d'une trop grande admiration. Il observe de près ce microcosme plutôt à la manière d'un entomologiste afin d'en comprendre les codes et le fonctionnement. Son style est sec, nerveux, il parvient à travers lui à rendre l'impression de course sans fin. Où l'on se prend à regretter un temps que nous n'avons pas vécu. Où de jeunes gens fous, rageurs, excessifs, voulaient embrasser le monde et se sont fait étourdir de trop ( de fêtes, de fric, de succès, de célébrité, de soif de reconnaissance, de femmes...). Il nous reste seulement de toute cette époque un kaléidoscope d'images et d'anecdotes mémorables : Pialat et son bras d'honneur à Cannes vomissant sa haine au monde entier ( qui ferait ça aujourd'hui? ) ; Rassam arrivant à convaincre Mag Bodart productrice très en vogue à ce moment là de l'embaucher en cinq minutes sans qu'il ait eu à en formuler la demande ; le joyeux bazar sur la croisette en 1968 ; Godart alors en pleine gloire insultant les flics en leur disant « Je vous emmerde je suis J.L Godart »...
On finit à la lecture de ce livre par avoir un drôle de sentiment, de nostalgie rétrospective à voir évoluer ces gens qui étaient de vrais passionnés, prenant à leur compte, souvent malgré eux, la fameuse phrase de Welles « Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive. » Comme le tribut à payer de quelque chose dont ils ne pouvaient se passer et qui leur était vital  : faire du cinéma.
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