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Critique de Moissagaise


Les Carnets du sous-sol ont été rédigés en 1864. Dostoïevski est alors accablé de dettes. Il délaisse sa femme mourante et part en Europe avec sa maîtresse. Il perd sa femme, puis son frère, Michel, dont il a toujours été très proche. La revue « le Temps » qu'il a fondée avec lui menace de fenner.

Dans la première partie, nous découvrons que le narrateur vit depuis vingt ans dans une cave et ressasse ce qui le torture dans un long monologue au cours duquel il s'analyse de manière très détaillée et approfondie. Il se présente comme un homme vil : « Je suis un homme malade ... Je suis un homme méchant. Je suis un homme déplaisant. » Il souffre d'autant plus qu'il n'est pas réellement capable d'être méchant : « Jamais je ne pus réussir à devenir réellement méchant. »

L'origine de sa souffrance provient avant tout de la trop grande conscience qu'il a de lui-même :« Une conscience trop clairvoyante, je vous assure, messieurs, c'est une maladie, une maladie très réelle. »

Il est pétri de paradoxes : il a besoin de s'isoler et recherche pourtant sans cesse la présence et le regard de l'autre. Ceci est visible dans l'écriture de ce monologue qui instaure un constant dialogue avec le lecteur que le narrateur interpelle ; il lui donne des explications, imagine ses arguments pour mieux les démonter et y répondre : « Je veux maintenant vous raconter, messieurs ». « Vous vous imaginez, je le parie ».

Il considère son lecteur comme un « homme normal » et l'envie pour cette raison même, car contrairement à lui, il souffre en raison de la conscience qu'il a de son intelligence. Elle le paralyse et l'empêche d'agir, tout comme ses doutes. Cette conscience porteuse de souffrance est pourtant indispensable pour qui veut continuer à vivre.

Cette première partie au rythme effréné, où les phrases parfois très longues se terminent à bout de souffle, cède la place à une deuxième partie fort différente, presque romanesque. le narrateur passe son temps à s'humilier, se rabaisser. Il rencontre une prostituée, Lisa, à l'égard de laquelle il devient moralisateur. Lorsque cette dernière vient auprès de lui pour lui déclarer son amour et lui dire qu'elle veut vivre auprès de lui et se détourner de la prostitution, il ressent le besoin de donner corps à sa méchanceté en l'humiliant, en la faisant souffrir au point de retirer du mal qu'il inflige une forme de jouissance.

L'homme du sous-sol se comporte ainsi parce qu'il est en quête d'un idéal qu'il ne parvient pas à atteindre ni même à exprimer. Il est furieux que les hommes se croient libres alors qu'ils ne sont que les esclaves de la raison. Ils ne comprennent pas le narrateur qui, épris d'absolu, leur semble n'être qu'un homme aigri, amer, en colère contre tous, alors qu'il est avant tout en quête d'un idéal. Et ce qu 'il cherche est probablement la foi. Les passages la concernant avaient d'ailleurs été supprimés par la censure.

Les Carnets se présentent par ailleurs comme une critique du roman Que faire ? de Tchernychevski paru en 1863. Tchernychevski affirme que l'homme aurait de meilleurs rapports avec les autres et pourrait devenir bon s'il connaissait son intérêt. En servant ses intérêts, il servirait au mieux l'intérêt général. La relation de l'homme du sous-sol et de Lisa est elle-même une parodie de l'histoire racontée par Tchernychevski où une prostituée devient la parfaite épouse d'un honnête homme. Pour Dostoïevski, ces arguments ne seraient tangibles que si l'homme était rationnel, ce qu'il n'est pas. Il nous montre au contraire que l'homme peut agir contre son intérêt. Une vie ou tout serait réglé d'avance serait d'ailleurs ennuyeuse, et pour lutter contre cet ennui-même, l'homme agirait pour s'en évader et donc contre son intérêt.

« L'homme du sous-sol est capable de demeurer silencieux dans son sous-sol quarante années durant ; mais s'il sort de son trou, il se déboutonne et alors il parle, il parle, il parle ... » écrit Dostoïevski.

Et comment demeurer indifférent à la parole de l'homme du sous-sol dense, intense, dérangeante, bouleversante. violente ?

J'ai éprouvé à la lecture de cet ouvrage une fascination un peu semblable à celle que j'ai ressentie à la lecture des Pensées de Pascal qui furent mon premier coup de foudre littéraire. Je ne sais pas si Dostoïevski a lu Pascal, mais de nombreuses similitudes semblent relier leurs systèmes de pensée.
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