Attention, haute densité psychologique pour ce roman du doute, du pardon et de la rédemption.
Je lis
Dostoïevski pour la première fois et voilà qu'il me pénètre instantanément et m'ébranle. Serait-ce dû à un atavisme quelconque, moi qui ai du sang russe dans les veines ? Et pourquoi pas ?
Les descriptions « balzaciennes » sont impressionnantes de réalité, appuyées qu'elles sont par cette fougue, cette folie, ces tourments slaves. Chaque phrase fait mouche.
Comment peut-on si bien connaître l'homme et si bien le transcrire ?
Les mots de
Dostoïevski nous décrivent d'abord Veltchaninov clairement comme un hypocondriaque, ce qui est très habile car fait naître une méfiance du lecteur qui ne le quittera jamais totalement. A travers ces mêmes mots talentueux, la fougue, la folie, les doutes, la culpabilité latente, l'humilité, les souffrances de Veltchaninov nous émeuvent.
Plus loin la sournoiserie de Troussotzky transpirera à travers la description d'un geste, d'un sourire et même de la tonalité d'une voix.
Au fur et à mesure que le roman avance les doutes s'installent chez notre héros mais aussi, astucieusement, chez le lecteur : le mari (eternel) sait-il que celui qu'il prétend être son ami fut l'amant de sa défunte femme ? L'amant sait-il que l'enfant du mari est sa fille ? L'enfant est-elle persécutée, est-elle saine d'esprit ? le doute se mue petit à petit en angoisse.
La fine maîtrise de l'âme humaine que possède
Dostoïevski lui permet à de multiples occasions de faire croitre l'irritation du lecteur à l'encontre de tel ou tel personnage et tout cela s'éteint par une attitude inverse, nous replongeant dans ce doute permanent qui à mon sens est le trait majeur et l'intérêt du roman.
Emportés, tout comme nous par le doute, nos personnages navigueront continuellement entre accusation, culpabilité, pardon, amitié, haine, admiration, détestation.
Un des derniers chapitres dont le titre « analyse » pourrait nous faire penser que des conclusions seront émises ne fait que nous plonger plus profondément dans le doute et nous fait prendre conscience de la difficulté qu'est le pardon et la rédemption pour nos personnages torturés. Il faudra vraiment attendre la fin du roman avec les points sur les « i » pour que les certitudes s'installent
Il est ainsi vrai que si au début on pouvait penser lire une comédie vaudevillesque, doucement cela se transforme en comédie dramatique puis en véritable dramatique mais avec un dernier petit clin d'oeil comique bouclant ainsi la boucle et me faisant ressentir ce roman talentueux comme étant bien loin d'une oeuvre mineure
NB je voudrais attirer l'attention de certains babeliautes sur le fait que l'amitié chez les russes peut paraître excessive, comme beaucoup de sentiments d'ailleurs. le russe ne sait pas faire les choses en nuances surtout s'il est épaulé par un verre de trop. le baiser sur la bouche, enfin. Il n'est qu'un baiser culturel et cordial symbolisant la paix et rien d'autre.
Petit résumé si ça vous tente :
Veltchaninov est préoccupé par un procès en héritage, dans les rues de Petersbourg il croise un homme qui le met instantanément mal à l'aise sans qu'il puisse savoir pourquoi.
Quelques jours passeront avant qu'il puisse se rappeler que cet homme est le mari d'une ancienne maîtresse, Natalia, dont le souvenir, dix ans après, le tourmente encore.
Or, l'homme, Troussotzky, lui apprend que sa femme est morte.
Mais que lui veut-il à le suivre constamment ?
Une immense culpabilité, plus qu'une peine l'envahit.
Plus tard Troussotzky présentera à Veltchaninov sa fille Lisa que ce dernier reconnaîtra immédiatement et secrètement comme étant la sienne.
Mais qu'est ce que Troussotzky sait exactement ?
Veltchaninov sera, et nous aussi, de plus en plus sceptique sur le fait que Troussotzky pense qu'il puisse être son seul véritable ami.
Surtout lorsqu'il fait le décompte de la naissance de Lisa sept mois après son départ.
Veltchaninov voyant la fillette souffrir va persuader Troussotzky de placer l'enfant chez des amis à lui ce qui créera une angoisse terrible chez Lisa et donc une souffrance chez Veltchaninov ;
Troussotzky qui comprend parfaitement la situation et la dirige insidieusement en profitera pour se venger et de l'amant et de la batarde…
Il torture moralement la fillette exerçant du chantage aux sentiments jusqu'à la rendre malade et, bien sûr, Veltchaninov qui ne peut supporter cette horreur.
Lisa va finir par mourir d'une mauvaise fièvre ou de chagrin – toujours ce doute- Troussotsky, jusqu'au bout fera souffrir Veltchaninov en ne venant pas près de la petite défunte.
Mais l'enfant semble vite oubliée et ne fera pas l'objet d'un salvateur règlement de compte ; les deux rivaux repartent à leurs occupations réciproques.
Le hasard ( ?) les replacera en présence et Troussotsky va entrainer Veltchaninov près de la famille de sa nouvelle et jeune fiancée.
Veltchaninov, brillant en société a tôt fait, et sans doute sans le vouloir, de séduire, au sens léger du terme, la petite promise ce qui va mettre, bien entendu, Troussotsky en fureur.
L'heure des règlements de compte semble avoir sonné.
Mais une nouvelle fois, alors que l'on pressent Troussotsky devenir enfin vengeur, il s'apitoie sur Veltchaninov malade.
Enfin, une nuit, Troussotsky tente d'égorger Veltchaninov
Veltchaninov entre alors dans une nouvelle phase délirante de doutes : est-il pardonné ? Troussotzky a-t-il prémédité son acte ? Dans ce cas pourquoi a-t-il cherché son amitié, etc…
Et puis finalement le voile se lève. Troussotsky savait, Troussotsky a voulu pardonner mais n'a pu y arriver, Troussotsky a voulu se venger mais n'a pu s'y résoudre.
Le roman se termine plus légèrement, plusieurs années plus tard lorsque les deux compères se retrouvent, par hasard, sur le quai d'une gare.
Troussotsky est marié mais visiblement et « éternellement » cocu !