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Critique de allardecri


Entre le chant d'un merle noir avant l'aube sur la lucarne de la chambre d'un homme âgé et les oiseaux chantant en grec dans le chêne du jardin d'une jeune fille, il s'est écoulé à peine deux semaines. C'est entre ces deux chants, sur un fil narratif de 250 pages que le verbe, d'une rare maîtrise, d'Emmanuelle DOURSON, dont c'est le premier roman, va se déployer.

Une narratrice qui ne se révèlera que peu à peu rapporte six moments d'une famille déchirée par un double drame dans une progression qui va culminer au cours d'un concert donné par une pianiste dans le magnifique décor de la salle de concert Palau de la Musica de Barcelone. On y présente tour à tour Jean, le père, Clélia, sa fille aînée, Yvan, son gendre, et Katia, une de ses nièces avant de les réunir dans le chapitre final qui se déroule tant à Bruxelles que dans la capitale de la Catalogne. Tous assisteront alors par écran interposé ou sur place au concert d'Albane, l'occasion pour eux de revoir celle qui les a tant marqués quinze ans plus tôt quand elle les a quittés avec fracas pour ne plus donner de nouvelles qu'une fois par an, par l'entremise d'une carte de Noël.

Le récit rapporte comment, à la faveur d'une rupture survenue dans une cellule familiale, celle-ci parvient à la suturer, à la dépasser sans l'effacer des mémoires. C'est sur une planète menacée par le réchauffement climatique et en proie à la tourmente des éléments, avec la conscience aiguë de cette prégnante réalité, que les protagonistes se meuvent.

Tout au long du roman sont rapportées des sensations auditives, visuelles ou tactiles avec acuité. Il n'est pas anodin que Nabokov soit l'auteur préféré du pater familias ébranlé plus que les autres par le départ de sa fille. D'autres références littéraires parsèment le roman : l'Odyssée d'Homère et un poème de Jaccottet dont le titre de l'ouvrage est tiré.

On peut inférer que si les différents personnages sont aussi attentifs à leur entourage, aux signes de toutes sortes que leur adressent et le cosmos et les forces de l'esprit, c'est que la blessure éprouvée dans leur vie familiale et affective les y a rendus plus sensibles.

La narratrice expose l'idée que le temps n'est pas longiligne mais issu d'un noyau originel qui s'est dilaté.

« Mais Clélia et Mona et tous les Occidentaux avaient tort, songeait Yvan, le temps ne se mesurait pas sur une ligne. le temps n'existait pas. Il n'était que l'effet du Big Bang. Nous n'étions jamais nés et nous n'allions jamais mourir. Tous, nous étions déjà là à l'origine, dans le noyau minuscule et dense dont tout allait sortir, dans la grande explosion initiale. L'univers ne s'était pas dilaté dans l'espace mais dans le temps, et chaque instant vécu ne faisait que se superposer aux autres pour former le pur noyau d'existence auxquels nous reviendrions un jour. »

Ainsi, ce récit montre comment, lorsque temps a filé, il demeure possible de le raccorder à la ligne, de transformer une sortie de route en retour sur soi, de boucler une histoire qui a dérapé.

Tout ce livre, nécessitant une attention pour chaque phrase, avance en multipliant les résonances, les renvois, les liens thématiques entre les différents intervenants, qu'on peut voir comme des instrumentistes jouant au sein d'une ensemble une partition, celle de l'auteure qui, en définitive, orchestre ce roman à la place virtuelle de la narratrice non identifiée au départ mais dont l'empreinte marquera considérablement le récit à mesure qu'il tire sur sa fin.

Un admirable premier roman animé d'une prodigieuse tension qui demeure longtemps en tête et qui consacre la naissance d'une écrivaine.
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