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Critique de Zebra


« Dieu n'est même pas mort » est un roman de Samuel Doux, un roman choral qui mêle - sur fond de judéité - les récits croisés de quatre personnages : Elias (en fait, Samuel Doux lui-même), jeune homme à la recherche de son histoire et de son identité juive, Moshe Herschel, son arrière-grand père qui raconte sa Pologne natale et les horreurs quotidiennes infligées aux populations juives par les soldats du Tsar, Paul Serré, le grand-père d'Elias qui raconte sa jeunesse sous l'Occupation et son goût pour les hommes, et Emmanuelle, la mère d'Elias, qui en jeune exaltée voit malheureusement son parcours se briser suite à l'arrivée d'un cancer. Point commun ? Toutes ces voix, toutes ces existences, ont été tordues par l'Histoire et par le destin. Aussi, Samuel Doux en survivant qu'il est revendique-t-il le droit au bonheur car « demeurer sans voix, vivre à la troisième personne », ça n'est pas imaginable : il faut s'accepter tel qu'on est !

Mais la tâche n'est pas aisée. Comment s'accepter tel qu'on est quand sa propre famille n'a pas cessé, depuis quatre générations, d'être broyée par L Histoire mais aussi (page 15) par « la boue des souvenirs » ? Quand (page 164) dans cette famille « le souvenir valait mieux que parler » ? Quand cette recherche équivaut (page 35) à « chercher sans cesse un peu d'air » afin (page 79) « de devenir quelqu'un » ? Quand cette recherche vous confronte (page 38) à la « vibration du temps » ? Comment s'accepter quand on traine avec soi les histoires personnelles de la famille, laquelle (page 15) « traversait tout en ne prenant conscience de rien » ? Quand le fait d'être juif vous colle à la peau et que (page 32) « être juif tout seul ça n'existe pas » parce que être juif ça signifie (page 18) « être obligé d'être ensemble : la sagesse et la perversité juives » ? Quand avec nos rêves, nous composons un passé imaginaire qui n'en est pas moins vrai ?

Et puis, à quoi bon s'accepter tel qu'on est ? Au-delà des efforts qu'il faut faire, quel sens donner à ces efforts ? La mort dont sa famille lui rebat les oreilles, (page 15) « crée des liens », chacun compatissant (page 51) devant « ces montagnes de corps fabriqués à la pelleteuse dans les camps d'extermination » ; la mort est (page 151) « une extrémité qui donne du sens », à tout le moins qui réunit les survivants. Mais « quelle identité conserve-t-on quand on est mort » ? Alors, à quoi bon faire ces efforts ? Ne faut-il pas en finir au plus vite (page 140) et « se suicider, car c'est la garantie de ne pas être effacé », même si ça revient à culpabiliser les autres et à les forcer à vous aimer dans la douleur ? Se suicider (page 82) « parce qu'il est impossible de vivre, parce que les choses vont enfin s'arrêter là ».

Samuel se cherche et tourne en rond, enfermé en lui-même, dans son histoire, dans l'histoire de sa famille et dans ses contradictions. Samuel avance, mal en point, malmené, boxé par la vie et par une judéité qu'il assume difficilement : pour son père (page 84), « le regard des autres compte » ; pour Samuel qui constate (page 238) avec horreur le fait « d'être une victime sans l'avoir été », le fait d'être (page 252) « un survivant, un sursitaire », l'important (page 248) « c'est le sentiment de calme » : il voudrait « mettre un coup de lance-flammes et tout le monde dans le four », il aimerait (page 243) que son histoire « ne soit pas triste, qu'elle soit comme on vit », non pas momifié, statufié ou ankylosé par la Tradition.

Et Dieu dans tout ça ? Les parents de Samuel avaient décidé de croire en Dieu, disant que ça donnait un sens à leur vie (page 135). Samuel n'adhère pas à cette démarche : il essaie le communisme, pensant y trouver « un élan commun au service du bonheur de tous », cherchant à échapper au roman familial, mais ça ne fonctionne pas plus. Au final, Dieu n'est même pas mort ! Avec ce roman en forme de labyrinthe, Samuel veut (page 210) se « donner la sensation d'être moins perdu dans le monde ». Dans ce roman, Samuel nous livre un parcours très personnel, cherchant probablement à exorciser quelques vieux démons familiaux et à reconstruire son identité personnelle, mais il confessera qu'il est impossible de découvrir « le sens caché de notre histoire ». le récit de Samuel Doux est sonore, précis, dru et poignant ; il ne force pas le trait car (page 21) il lui est interdit de se plaindre alors que « d'autres avaient vécu la guerre ». L'Histoire, la tradition et la famille lui confisquent le bonheur et lui font endosser une identité dans laquelle il ne se reconnaît pas : qu'à cela ne tienne, se débarrassant de ses oripeaux, maintenant il restera fort quoi qu'il arrive et il se reconstruira une vie différente de celle qu'il avait vécue jusqu'alors, une vie (page 123) « médiocre et inconsciente qui n'avait rien produit d'autre que de la distance et de la mort ». Samuel Doux porte un regard touchant sur la mémoire et sur son poids dans la construction identitaire d'un individu : un livre triste et intime qui donne à réfléchir.
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