SAMUEL DOUX, « L'ÉTERNITÉ DE XAVIER DUPONT DE LIGONNÈS » - INTÉGRALE
L'Éternité de Xavier Dupont de Ligonnès
Lecture musicale imaginée par Samuel Doux & Mathieu Baillot
Le 20 avril 2017 à la Maison de la Poésie-Scène Littéraire
Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste.
Pascal, Pensées. ( p 7)
Ikea et son paternalisme bienveillant dessine avec nous un avenir commun. Pourquoi aller voir ailleurs lorsque ce monde si beau, si accessible nous tend les bras aux portes de nos villes ?
Ce lien si particulier que nous entretenons avec la gentille baleine jaune et bleue est une affection profonde construite au fil des années. Ingvar Kamprad et son empire fait pour nous, à notre intention, nous pourvoie non seulement en meubles, mais nous intègre également dans une communauté. L’entreprise est là pour durer, et fera toujours partie de la famille.
page 130
[...] Lorsque Piotr lisait tout le monde écoutait : " (...) En quelle année ? Comptez vous-mêmes. En quel endroit ? Devinez-le. Sur la grand-route, quelque part, sept moujiks se sont rencontrés : sept moujiks du département de Licol, du district de Souffre-Douleur, du canton de Plus-Rien-Dedans, des villages avoisinant de Rapiécé, de Troué, de Déchaussé, de Frissonnant, de Brulé, de Terre-Affamée comme de Pauvre Blé, se sont rencontrés et discutent : "Pour qui fait-il bon vivre, qui vit libre en Russie ?" Romain dit : "Le propriétaire." Damien dit : "C'est le fonctionnaire." "Le pope", dit Lucas. "Non ! Le marchand gras de la panse ! disent les deux frères Goubkine, Ivan et Mitrodore. L'air concentré, le vieux Pakhom prononce en regardant par terre : "Notre seigneur le boyard, le ministre du souverain." Et Prove dit : "Non, aucun de ceux-là; c'est le Tsar." [...]
Entre l’adolescence et aujourd’hui le temps ne s’est pas arrêté. Mon corps est devenu flasque, plus extensible et pourtant moins souple, mes cheveux ont disparu et mon souffle s’est ralenti, mes Yeux se sont un peu creusés, quelques cicatrices sont apparues et à l’intérieur tout est moins synchrone. Je vois bien que le temps existe, pourtant les quinze dernières années se sont écoulées sans moi. Aujourd’hui il n’y a plus personne pour me parler et me rappeler, fallait-il que tout le monde soit mort pour que je commence à vivre ? (p 11)
Ma grand-mère n’avait aucun humour, sa perversité était morbide et méchante. Si la bague est cachée, c’est dans un endroit qui fera sens. ….
….Ce n’est pas une illusion, elle est là, brillante, couchée au fond des toilettes comme une pierre phi1osophale que je n’espérais plus voir. Sans réfléchir, sans hésitation, je m’agenouille, je plonge ma main dans l’eau et je sors ce bijou serti de diamants en argent véritable. Je l’avais presque oubliée. Je recule et m’adosse au mur. Je ne comprends pas. Comment s’est-elle retrouvée là ? Toute notre famille plongée au fond d’une cuvette de toilettes. (p 163.../...244)
Ce matin pourtant l’un d’eux s’est arrangé pour passer le parcours du combattant de mon labyrinthe cérébral. Ce matin un rêve est sorti des limbes traversant les crématoires de l’oubli pour venir frapper des mots. Ce matin je me souviens. ( p110)
Lentement à l’intérieur de moi je bâtissais un mur entre hier et aujourd’hui, j’encerclais avec méthode la haine et la peur et je me demandais sans cesse ce qu’il pouvait y avoir après l’horreur.
(p128)
Ce chiffres six millions, c’est un de mes premiers souvenirs, à deux ou trois ans, quatre peut-être. Aux yeux de ma mère, il était capital que je sache qu’un jour six millions de personnes, plus toute ma famille polonaise, sont mortes par la faute des Allemands. Les explications n’ont jamais été beaucoup plus loin.
(p104)
Ce chiffres six millions, c’est un de mes premiers souvenirs, à deux ou trois ans, quatre peut-être. Aux yeux de ma mère, il était capital que je sache qu’un jour six millions de personnes, plus toute ma famille polonaise, sont mortes par la faute des Allemands. Les explications n’ont jamais été beaucoup plus loin. (p104)
Comme lui, je ne sais pas lire et maintenant entre moi et l’horreur il n’y a aucun mot. Je ne suis pas mort, je respire, ça doit vouloir dire qu’il y aura encore des jours à venir. J’ai dix-neuf ans. (p125)