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Critique de kielosa


Il n'y a pas de raison qu'un septuagénaire ne se penche pas sur un ouvrage publié par Gallimard dans sa belle collection "Jeunesse". Surtout s'il s'agit d'une oeuvre de la méritante Carol Drinkwater sur la plus grande famine naturelle que notre continent ait jamais connue. Par ailleurs, le "Journal de Phyllis McCormack, 1845-1847", le sous-titre, évoque bien sûr celui d'Anne Frank, lors de l'occupation nazie d'Amsterdam.

Si la famine en Irlande a eu des origines naturelles, l'autre grande famine, en Ukraine dans les années 1932-1933, surnommée "Holodomor" ou extermination par la faim, résulte d'une politique criminelle de Staline contre les koulaks, riches fermiers ou supposés l'être, et qui a causé la mort à entre 2,4 et 4 millions de personnes. Bien que la carence de Londres à venir sérieusement à l'aide des Irlandais, ait aussi été qualifiée par certains historiens de criminelle et même de génocide.

Si vous aimeriez vous former une idée de l'ampleur de cette catastrophe, qui a fait environ 1 million et demi de morts et a été à l'origine d'une émigration d'à peu près un autre million d'Irlandais, je peux vous recommander l'excellent ouvrage de Fabrice Bensimon "La grande famine en Irlande", paru chez PUF (Presses Universitaires de France) en 2014. Si vous préférez, au contraire, une approche plus littéraire, il y a l'oeuvre célèbre "Famine" de Liam O'Flaherty de 1937.

L'histoire commence gentiment avec un cadeau d'anniversaire : Phyllis reçoit pour ses 14 ans de son grand frère Patrick ou Pat tout court "un livre plein de pages blanches". Après un peu de réflexion, très sérieusement, la petite décide de se présenter : je suis Phyllis McCormack et "pour les gens qui m'aiment, c'est Phylly". Nous sommes le 10 mai 1845 dans le sud de l'Irlande.

Notre Phylly est la 2ème enfant dans un ménage de petits fermiers qui en compte encore 4 : Hughie, 10 ans, Grace 8, Mikey 4 ans et Eileen, 6 mois.
Elle note qu'ils sont un petit peu à l'étroit à 8 personnes dans une chaumière minuscule, mais qu'elle n'a aucune raison de se plaindre, parce que ses parents louent 16 acres de terre, là où la plupart de ses voisins doivent se contenter de 5 acres ou même moins. En plus, ils ont un cochon que son père va vendre au marché de Tipperary et ce qui permet à la famille d'acheter de la nourriture lorsque leur réserve de pommes de terre est épuisée jusqu'à la nouvelle récolte. de passer les mois de juin, juillet et août, la saison de pénurie.

Son meilleur ami est Pat (suivi du chien de rue rachitique Mutt), quoique son grand frère assiste à des réunions de "sociétés secrètes" qui complotent contre la "tyrannie britannique", ce qui l'inquiète, mais qu'elle confie néanmoins dans son journal, conscient que ses parents sont illettrés et ne peuvent lire ses confidences.

Le 10 novembre 1845 c'est la catastrophe, Phylly note : "La maladie a réduit en pourriture presque toutes les pommes de terre qu'étaient parfaitement saines lorsqu'on les a arrachées ". La petite provision intacte ne permettra pas aux McCormack de passer les mois difficiles d'été. Afin de reculer l'échéance fatale, ce qui arrive sur la table pour manger se trouve fort réduit, aussi bien que la benjamine Eileen pleure jour et nuit.

Le 3 janvier 1846, au lieu d'aller à l'école, Phylly commence à travailler comme boniche au manoir de Errill pour la bagatelle de 4 pence par jour. Mais elle est contente que la "Grande Maison" se trouve "à peine à 3 km et demi de marche à travers champs", malgré le fait qu'elle n'a jamais eu de chaussures ni de bas !

J'arrête ici mon résumé, à vous de découvrir le sort de la famille, de notre petite héroïne et de son frère rebelle Pat, ainsi que les implications de cette calamité que la maladie provoquée par un champignon, identifié ultérieurement sous le nom de mildiou, en détruisant les récoltes de pommes de terre, la base même de leur économie. Ce n'est qu'à partir de 1851 "que les Irlandais se mettent à reconstruire leurs vies brisées ".

Carol Drinkwater a très habilement réussi à introduire dans ce journal de sa mère des éléments politiques relatifs aux relations plus que tendues entre l'Angleterre protestante et sa soumission de cette Irlande à majorité catholique. Ainsi Phylly s'offusque - à juste titre d'ailleurs - que de tonnes de vivres continuent d'être exportées par les riches propriétaires terriens anglais alors que la famine menace la survie des Irlandais.
L'on peut, bien entendu, remarquer que les notes de Phylly sur le Premier ministre britannique, Sir Robert Peel, et l'abrogation des "Corn Laws" ou lois sur les céréales, ne sont pas très convaincantes venant d'une gamine peu instruite, ce qui est vrai, mais ce qui ne m'a pas dérangé pour autant.

La carrière de Carol Drinkwater, née en 1948, a été bien remplie : membre du "Royal National Theatre" sous la direction de Sir Laurence Olivier, actrice dans de nombreuses pièces de théâtre, de séries télévisées et de films, tel par exemple "Orange mécanique" de Stanley Kubrick en 1971. Elle a écrit plusieurs livres pour enfants et adolescents et a acheté avec son mari, le producteur de cinéma Michel Noll, en 1986, dans le midi de la France une propriété de 10 acres, qu'elle a transformé en une oliveraie "où elle passe beaucoup de temps". Ce violon d'Ingres pour la culture de l'huile d'olive est à l'origine d'une trilogie qu'elle a publiée à ce sujet et dont "La ferme aux oliviers" de 2002 est probablement le mieux connu.

Bref, il serait peu délicat de ma part de prétendre avoir passé un moment agréable à lire un journal où le fléau de la famine occupe une place centrale... et pourtant, Carol Drinkwater et sa Phylly ont parfaitement réussi à capter toute mon attention dans ce livre pour la jeunesse.
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