Il croyait vraiment qu’en partant, il sauverait sa famille. Il s’est juste sauvé de sa vie. Il a pris le mauvais bateau, il a fait le mauvais choix. Il était trop jeune pour décider, il est trop vieux pour tout gommer. Rien ne peut le secourir.
Il y a une faille en toute chose, c’est ainsi que passe la lumière.
On n'entends plus ses mots, qui sont avalés par ses pleurs. Je ne me sens plus seule. Elle est là, comme moi. Les autres aussi, on est si pareilles, des sœurs de souffrances, des pires encore, des cassées, abîmées, mais on a toutes tellement envie de s'en sortir. (p. 135)
- Que fais-tu comme travail ? Tu es étudiant ?
- Surtout, j’attends que le temps passe, et ça prend tout mon temps.
A l'aide de ses pailles, il compose de grands paysages dans les petites bouteilles. Il a appris à le faire dans un pays lointain où les gens ont les yeux plissés. C'est le Pays du Soleil levant et pourtant, Cissé y fut malheureux. Il en était vite reparti . Maintenant, il voyage dans les lignes d'horizon qu'il trace avec sa paille.
Pour eux, tu représentes une race à part : les migrants. Je suis devenu « les migrants », ils en parlent tant et tant. Jamais au singulier, ça nous donnerait trop de place, et ils en ont plus, des places, même avec la meilleure volonté. Et les migrants, c’est devenu un sujet dérangeant pour la société, il paraît. Alors, avec leurs barbes, leurs cheveux propres et leurs gentille manières, ils ont créée des « assosses » pour nous aider, nous les migrants dont on ne sait pas quoi faire. Ils sont guidés par des idées hautes, et descendent très bas avec ces rejetés. Ces Afros, ils sont si sales, si noirs, si rien.
Depuis qu’il est dans ce pays dont il a tant rêvé, il est devenu transparent, on ne le regarde plus, ou de travers. Ses frères d’Afrique ont laissé leurs yeux chez eux, avec leurs souvenirs.
- Tu étais heureuse avec ces malheureuses ?
- Oui, heureuse de servir enfin à quelque chose. Je les ai un peu aidées… Et j’ai beaucoup appris. C’est fou, à Paris, on a tout ce qu’on veut et pourtant on est tous dépressifs !
- Ca veut dire quoi ?
- Dépressif ? C’est quand on est triste tout le temps. C’est quand on voudrait faire l’autruche, enfoncer sa tête dans le sable et ne plus la sortir. C’est quand on est aussi faible que la feuille arrachée à l’arbre qui flotte sans savoir où elle va.
- Ah oui ! Chez nous, on sait pas être comme ça. On a mal au ventre, ou mal à la tête. Alors on dort et ça va mieux.
- Pourtant vous avez une vie pas facile, bien plus dure que la nôtre.
- Oui, madame toubab chérie, c’est ce que j’appelle la justice de Dieu ! Nous on n’a rien, mais on a la sourire dans le coeur, vous, vous avez tout, mais vous ne le voyez pas…
Elle ressentait la souffrance des exilés, ces hommes dont les rêves avaient coulé au fond de leurs poches et qui n'avaient plus la force de les poursuivre.
Mes failles m'ont permis d'entrevoir la lumière et de ne pas passer à côté de moi-même.
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