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Critique de oblo


oblo
19 septembre 2019
Georges Duby le dit lui-même : il ne souhaite pas écrire une biographie de Guillaume le Maréchal. Celle-ci existe déjà, c'est l'Histoire de Guillaume le Maréchal, écrite par Jean l'Anonyme au début du XIIIe siècle. En vérité, Duby souhaite, à travers la vie extraordinaire de cet homme clé de l'histoire médiévale anglaise, évoquer ce que fut la chevalerie et, plus généralement, la féodalité en Angleterre et en Europe. En cela la vie de Guillaume le Maréchal est un exemple, au sens latin du terme, un miroir donc, réfléchissant son époque et les hommes qui y vécurent.

Ces hommes n'étaient pas ceux du commun. Dans la répartition tripartite des hommes au Moyen Age, Duby ne s'intéresse pas à ceux qui travaillent ou à ceux qui prient. Il s'intéresse à ceux qui combattent : les chevaliers, et leurs seigneurs dont le plus haut, le roi, se situe au sommet de la pyramide sociale. Dans cette société figée, le parcours de Guillaume le Maréchal fait figure d'exception. Lui, le cadet de famille, celui dont le destin était de combattre sans jamais pouvoir prendre femme, devint l'un des personnages les plus puissants de son époque, puisqu'il fut, à la mort de Jean sans Terre, le régent du royaume d'Angleterre, chargé de veiller sur le petit roi, le futur Henri III. Consécration d'une vie, peut-être due à cet âge exceptionnel : le Maréchal vit entre environ 1245 et 1219. Son ascension ne fut pas linéaire : il est un chevalier errant lorsque, au début des années 1180, il est soupçonné de liaison avec la femme d'Henri le Jeune, fils d'Henri II Plantagenêt. Lorsque Henri II meurt en 1189, il s'inquiète de son avenir lorsque monte sur le trône Richard Coeur de Lion. Idem lorsque Jean Sans Terre y parvient : Guillaume doit laisser plusieurs fils en otage pour protester de sa bonne foi.

Guillaume doit son ascension à sa valeur exceptionnelle au combat. Tournoyeur redoutable, il remporte plusieurs succès lors de ces rencontres qui se déroulaient dans le nord de la France, faisant de la nation anglaise l'une des nations redoutées. A la guerre, notamment en Normandie ou dans le Maine, Guillaume fait honneur à son rang et à sa classe sociale. La bataille de Lincoln, en 1217, est sa consécration. Tous ces exploits lui permettent de prendre femme, d'ailleurs l'un des plus beaux partis du pays, qui fait sa fortune matérielle et le portent au rang des hauts barons du pays.

Si Georges Duby insiste sur le caractère exceptionnel de la vie de Guillaume le Maréchal, il la prend en exemple pour illustrer ce qu'était la féodalité au Moyen Age. Il faut comprendre que l'époque à laquelle vit Guillaume représente probablement le zénith et l'aurore du mode de vie chevaleresque. La foi, l'honneur, la générosité en constitue les piliers. Ce mode de vie, particulièrement viril, vit ses derniers instants. Les Etats monarchiques gagnent une solidité qu'ils ne perdront plus, et prennent le pas sur les puissances nobiliaires du pays. D'autre part, l'honneur cède peu à peu le pas à l'argent, qui deviendra la valeur dominante en Occident. L'argent, les chevaliers le méprisent mais en ont besoin, car leur prodigalité en dépend. Cet argent, donc, est la matérialité du pouvoir. Cependant l'honneur s'acquiert par l'intrépidité au combat, et la loyauté dans le lien personnel. Car l'époque est encore à la féodalité et les liens vassaliques déterminent un édifice social à la fois simple et complexe. Simple parce que les relations sont personnelles, et que l'on doit fidélité et bienveillance aux hommes qui nous dominent ou qui nous servent le plus directement. Complexes car ces relations peuvent s'entrechoquer, faisant vaciller la morale : ainsi Guillaume, servant son jeune seigneur Henri le Jeune, doit-il s'expliquer de cette fidélité à son roi, Henri II Plantagenêt, lorsque le fils entre en rébellion avec le père. Les relations sont verticales, mais aussi horizontales, et les liens vassaliques n'empêchent pas les jalousies, de celles qui naissent lorsqu'un chevalier apparait trop aimé de son seigneur : c'est ce qui arrive à Guillaume.

Jamais, cependant, Guillaume ne semble en danger dans le jeu des relations personnelles. le danger, il l'encourt lors des tournois, dont Georges Duby donne une vision sportive. Ainsi le tournoi, gigantesque affrontement de jeunes hommes fougueux et valeureux, est-il un événement sportif, organisé par les hauts barons du pays qui, à la manière des sénateurs romains organisent les Jeux, s'attachent par là la reconnaissance d'une classe de jeunes hommes liés entre eux par une même pratique, des mêmes codes culturels, et une amitié virile qui confine à l'amour. C'est la peut-être le plus grand mérite se Georges Duby : par son écriture simple et fluide, par le recours aussi à cette Histoire de Guillaume le Maréchal dont la langue restitue à merveille - peut-être parce que l'auteur était un laïc, sûrement parce que la source principale en est Jean d'Early, écuyer de Guillaume - le mode de vie chevaleresque, Duby donne vie à une époque souvent figée négativement. Guillaume le Maréchal, par sa vie formidable, par la chance aussi que nous avons d'en posséder une trace écrite, est le témoin de la chevalerie dont il fut, selon les chevaliers français eux-mêmes, le meilleur représentant.
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