Citations sur Jean de La Fontaine. (9)
Il lui arrivera plus d'une fois d'expliquer à son lecteur qu'il a dû se contenter d'écrire un ton au-dessous de ce qu'il aurait voulu faire. Ce n'est pas forcément de la fausse modestie. Il appartient à la génération où tout poète rêvait d'être un Homère. Mais personne, même Chapelain, n'y avait réussi...
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique.
La Fontaine est à la fois causeur brillant et rêveur taciturne selon les personnes et les lieux, mais aussi selon son humeur. C'est un cyclothymique dont la joyeuse excitation cesse à la moindre contrariété et retombe facilement d'elle même. Il se grise de paroles, mais l'ennui, qui fait le fond de son caractère, a vite fait de reprendre le dessus. S'il va souvent jusqu'à la débauche, c'est qu'il cherche sans le trouver ce repos qu'il a vanté si souvent. Il s'étourdit dans le divertissement.
S'il a dormi plus que les autres à l'Académie, c'est qu'il y a été plus assidu.
Contre l'opinion de son siècle, La Fontaine affirme l'autonomie de l'oeuvre d'art. Sans incidence sur la vie, elle est une sorte d'exutoire qui permet de jouer à ce qu'on a pas le droit de faire. Puisque les contes sont des bagatelles, ils doivent garder leur caractère ludique. En se détournant de la littérature sérieuse vers les "contes à rire", l'auteur conquiert sa liberté.
Hyménée est un dieu jeune, charmant et blond.
Mais les jours avec lui ne se ressemblent guères :
Le premier est amour, amitié le second.
Le troisième est froideur, songez-y bien, bergères.
La Fontaine n'a rien publié avant 1654. Il avait alors trente-trois ans. Même s'il a composé maints essais de jeunesse, il n'a rien fait qui le satisfasse avant cette date.
Vraies ou fausses dans le détail, les fables racontées sur La Fontaine sont trop nombreuses et trop convergentes pour ne pas révéler un trait fondamental de son comportement. Il a su ne pas vivre comme les autres, et il s'est servi de son étourderie pour y parvenir. Elle n'implique pas, comme l'ont cru de bonnes âmes, l'irresponsabilité du "visionnaire". Loin de la subir, il s'est servi de sa rêverie. Il l'a lucidement employée pour échapper à ses devoirs et à la morale de son temps. Il s'est arrangé pour qu'elle permette d'excuser à tout moment ses nombreux comportements marginaux.
"Ce n'est ici, dit-il dans un Avertissement, qu'une médiocre copie d'un excellent original". Premiers mots d'un dialogue avec le lecteur poursuivi toute sa vie par un poète qui ne publiera rien ou presque sans lui expliquer ses intentions et solliciter ses réactions dans des Avis et des Préfaces. Comme s'il n'était pas tout à fait sûr du bien-fondé de son entreprise. Comme s'il avait besoin d'être compris et rassuré. A moins qu'il n'ait superbement triché, conscient que ce pseudo-dialogue était un excellent moyen de se concilier les bonnes grâces d'un public que personne ne saurait flatter mieux que lui en lui parlant, en le consultant, en le traitant d'égal à égal. Pour ses écrits, et bientôt dans ses écrits, ce rêveur fait preuve d'un sens aigu de la communication.