Les chemins d'Hermès, tome 3 : Les sentinelles

Calgary pressa le pas vers la grande halle. Avec un peu de chance, il trouverait quelque lève-tôt qui pourrait l’inviter à boire un thé chaud. Son ventre gronda douloureusement et il maudit pour la millième fois les éleveurs, les baleines cuivrées et le froid. Depuis des jours maintenant, un tapis de givre recouvrait le sol qui ne dégelait pas. Cette situation était inédite en bord de mer et plongeait les pêcheurs dans l’expectative. Les difficultés commençaient à se faire cruellement sentir : depuis une semaine, les denrées étaient rationnées afin de nourrir les enfants recueillis et de faire face à cet hiver sans précédent. Les pécheurs n’avaient pas plus de chance, les eaux de plus en plus froides éloignant les meilleurs poissons. Le banc décimé par les cétacés à l’automne manquait terriblement à l’appel et les conséquences étaient visibles chaque jour. Les réserves de nourriture, moins conséquentes que les années précédentes, pour une population plus importante, ne suffiraient pas. Il n’en pouvait plus de compléter ses repas avec les algues pêchées par le banc. Il pensa subrepticement à Bali : sa chaleur lui manquait encore même s’il s’était résigné à son absence. Elle restait un souvenir douloureux mais précieux. Il pouvait de nouveau penser à elle sans imploser… Il envia sa sœur. Même s’il devait arpenter seul les ruelles du village au petit matin, il se réjouissait du couple qu’elle formait depuis peu avec son meilleur ami.
Il traversa la grande place à la hâte en tapant ses mains gantées l’une contre l’autre. Alors qu’il s’engageait avec soulagement à l’abri sous le toit de chaume, il distingua une forme recroquevillée au pied du mur de soutènement. La forme se releva en exhalant un nuage de fumée. Transi sous sa cape de fourrure, l’inconnu le regardait approcher, visiblement sur ses gardes. Rien qu’à la posture de ses jambes, Calgary aurait pu jurer que sous la fourrure se cachait une arme prête à être dégainée. Une capuche épaisse masquait la partie haute du visage de l’intrus.
Calgary s’arrêta à deux mètres de lui. Il écarta doucement son manteau : il n’était pas armé et entendait le faire savoir. L’inconnu se détendit immédiatement et relâcha sa prise sur l’arme cachée sous ses vêtements. Il retira ensuite l’une de ses moufles et une main aux doigts effilés tira sur la capuche, dévoilant un visage fin aux cheveux bruns coupés courts. De grands yeux sombres aux longs cils ne laissaient aucun doute sur sa nature : malgré sa coupe garçonne et ses vêtements informes, il s’agissait d’une jeune femme. Dix-huit, vingt ans tout au plus. Cal ne put s’empêcher de marquer sa surprise : d’où sortait-elle ? Ce village était un véritable gruyère !
— Alep m’envoie, dit-elle sans préambule, j’ai un message à délivrer à Egée, le chef de votre village.