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Critique de Luxi


Bon, eh bien j'ai pleuré.
C'était prévisible au fond, ce texte est un coeur béant, un don total de soi pour l'ami volatilisé, un cantique moderne, gonflé de rage et d'accolades avortées.
La première chose qui frappe, c'est la poésie qui bondit de ces phrases courtes et parfaitement taillées. Je crois d'ailleurs que c'est un texte à lire à voix haute. Un texte qui brille, qui danse et qui parfois s'envole. C'est beau comme quand on pleure, comme quand on prie. C'est écrit avec les cils d'un ange ébouriffé et acide. Ça claque avec la splendeur d'un orage d'été.
Je suis à nouveau percutée par cette pureté qui emplit la plume de Julien Dufresne-Lamy. Chaque mot est à sa place, moqueur ou attachant, prêt à cogner, hurler ou célébrer, prêt à pailleter le ciel. C'est tout de même extraordinaire cette sensation de jonction parfaite en face d'une écriture. Comme si j'avais trouvé LA plume que j'avais toujours attendue de lire. Julien Dufresne-Lamy a vraiment une « voix », une voix fraîche, lyrique et obstinée, pleine de fièvres et d'éclats de lune. Une voix qui me touche et m'atteint. La voix d'un très grand écrivain.
« Boom » est une déchirante et admirable déclaration d'amitié. Ce texte nous raconte l'injuste absence, la mort impérieuse et imméritée, mais surtout cette atroce et vicieuse culpabilité, ces monstrueux « et si… » ou « je n'aurais pas dû. » Tout ce qui pourrit dans le coeur lorsque la vie s'enraye et qu'on ne sait plus comment respirer, que l'on n'aime plus les gens, que l'on ne comprend plus le monde, que l'on se sent flotter, fragmenté, au-dessus des ruines de sa propre existence.
Je ne relis jamais mes livres – je ne sais pas pourquoi. Sans doute par peur que la magie n'opère pas aussi puissamment qu'avant. Mais je sais que je relirai ce texte parce qu'il est si juste et si raffiné qu'il en devient impérissable. J'ai lu plusieurs ouvrages prenant pour thème les attentats et « Boom » reste celui qui m'a le plus secouée. Il sort du lot. Il a ce quelque chose d'inaltéré, de diaphane et d'agressif à la fois, ce quelque chose d'infiniment pur qui me désarme totalement. C'est un texte qui ressemble à du cristal fêlé. C'est fort, c'est innocent, c'est digne et majestueux.
Etienne adresse une lettre au vide qui lui peuple la chair et l'âme, aux couleurs dégueulasses d'un monde sans Timothée, à l'absurdité des jours puis des nuits sans lui, looping dément à l'infini, au silence qui retombe partout, partout, partout.
Ce n'est pas une lecture pénible et orageuse car Étienne nous raconte son Timothée en envoyant valser la pudeur et la gêne. Il nous dépeint un Timothée au coeur énorme et aux sourires de soie, l'ami indéfectible, son frère d'ivresse, sa seconde peau. Et c'est sublime parce que c'est sincère, indocile, et que ça ne cherche pas à faire dans le mélodrame. Habile équilibriste, l'auteur se tient sans cesse entre lumière et ombre, dans cet endroit gracile où se nichent les grandes oeuvres.
En lisant ce roman, une citation de Francis Thompson que j'aime énormément m'est revenue en mémoire : « tu ne peux cueillir une fleur sans troubler une étoile. » J'y ai repensé parce qu'au-delà de la mort et de son cortège de douleurs, ce texte nous raconte le Lien. L'attache exceptionnelle de deux êtres que l'absence même ne salit pas. Ce qui se détache de soi et part avec l'autre dans un endroit qui n'a pas d'images. Mais surtout ce qui reste de l'autre en soi et nous fait briller plus fort.
C'est une ode à la vie et aux gens exceptionnels qui enflamment nos existences. Nous perdons des êtres au fil du temps qui cavale mais ils continuent à vibrer en nous, dans le réseau des artères, tout autour des os. Et Timothée continue de pulser sous la chair d'Etienne, avec ses tics insupportables et son sourire angélique.
On ne devrait pas attendre de perdre nos amis-bijoux pour leur écrire de tels poèmes. Non, on ne devrait pas. C'est un livre que je rachèterai et que j'offrirai.
(Merci aux éditions Actes Sud Junior et à Julien Dufresne-Lamy pour sa touchante dédicace.)
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