Le livre s'ouvre directement sur la salle d'attente de l'hôpital où Charlie, adolescent de quinze ans patiente en compagnie de sa mère. Son père, Aurélien, subit une intervention chirurgicale, radicale, une vaginoplastie qui va durer plusieurs heures. C'est l'étape ultime de cet homme, âme de femme égarée dans un corps d'homme, pour devenir Alice et être enfin en accord avec lui-même.
Durant cette attente angoissante, Charlie remonte le cours du temps : l'annonce de son père, sous la tente lors d'un week-end d'escapade qui le prend au dépourvu ainsi que sa mère, mais au fond, il se doutait bien qu'il y avait anguille sous roche. Un jour, il avait surpris son père habillé en femme, perruqué dans le garage. Il avait alors évoqué une soirée Halloween avec des voisins…
Ce week-end où tout bascule, Charlie va parler alors de séisme et comparer les secousses d'un tremblement de terre qu'on ne voit pas venir, à part sur les tracés des sismographes, à toutes les souffrances, guerres intérieures qui vont se succéder, chez lui comme chez sa mère, mais de façons différentes, mais qui vont laisser des traces.
Durant ces longues heures, Charlie se souvient de tout le processus de transformation de son père : les hormones, notamment avec leurs effets secondaires, la lutte contre la pilosité avec des rituels de rasage aussi énergiques que cause de souffrance, les achats compulsifs de bijoux qu'il ne porte pas forcément, cette voix masculine qui l'exaspère car au téléphone, on lui dit encore « monsieur », le tout sur fond de suivi par, Madame Folle, une psy qui tient plutôt bien la route malgré son nom :
« Une psy qui s'appelle Folle, t'as pas un peu peur de virer camisole. Mme Chtarbée suit l'état psychique de Papa depuis deux ans. Depuis les tremblements de terre. Papa l'a choisie sans avoir le choix. Obligation formelle d'être suivi… »
En fait, l'acceptation se fait très progressivement, un peu comme les étapes du deuil, avec bien-sûr la colère qui l'envahit au début, car Aurélien, tout à son projet, ses consultations multiples chez différents médecins pour avoir ses prescriptions, ne se rend pas compte que si, pour lui, tout est clair et résulte d'une évolution remontant à l'enfance, ce n'est pas la même chose pour Charlie ou pour son épouse.
Il s'agit bien d'un deuil : celui du père aimant qui devient Alice, alors il faut s'habituer à dire « Elle » à construire les phrases au féminin (teinté de masculin : mon père, elle…).
Julien Dufresnes-Lamy explore aussi les réactions de l'entourage, la famille de la mère de Charlie, (notamment sa soeur Rita) est italienne ultra-catholique, et tente de la forcer à divorcer par exemple un comble chez les ultras, les voisins qui se moquent et jugent, les tags sur la voiture, la maltraitance au collège…
« Il y a deux sortes de gens affreux dans la vie. Les gens qui ont un avis sur tout. Et les gens qui tendent la main à tous sauf à ceux qui en ont besoin. Rita et Jo, c'était la combinaison hypocrite des deux. »
Charlie et sa mère ont évolué chacun de leur côté, avec des réactions différentes, des colères, qui ne sont pas concomitantes, car elle semble accepter sans problème par amour pour son époux, mais les réactions de colère sont plus tardives. Je trouve le choix d'aborder la transidentité, à travers le cheminement d'un adolescent devant le choix paternel, très intéressant et très réussi, ainsi que le fait de choisir l'approche par le biais de l'amour : Charlie aimera-t-il son père de la même manière ?
J'ai beaucoup aimé ce roman, car l'auteur aborde la transsexualité, la transidentité, le genre, les réactions des gens, l'intolérance avec beaucoup de sensibilité, comme dans son précédent roman, et j'ai découvert des aspects sur lesquels je n'avais jamais réfléchi en profondeur, notamment tout le côté médical : les effets secondaires des hormones, les complications possibles de la vaginoplastie (intervention qui dure 5 heures en France et 8 heures dans les pays anglo-saxons, car on « peaufine » plus…).
Les termes choisis sont toujours dans le registre de la sensibilité, de la pudeur, très rarement dans la crudité, les comparaisons avec le tremblement de terre ou la nature sont toujours judicieuses.
Je mettrai juste un bémol : j'ai trouvé Aurélien-Alice, certes sympathique mais très autocentré : il est tellement obnubilé par sa démarche ses choix, qu'il ne se rend pas compte de ce que cela entraîne sur son fils et sa femme. Un exemple : aller chercher son ado au collège, habillé en femme, avec perruque, maquillage, sans se rendre compte des répercussions que cela peut avoir, c'est terrible. Mais, que ferions-nous à sa place ? il y a un tel décalage dans le temps entre la certitude d'être une femme depuis l'enfance, et l'annonce à la famille…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteur que j'ai découvert avec «
Jolis, jolis monstres » et que j'ai retrouvé avec énormément de plaisir. J'attends le prochain livre de pied ferme…
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