Citations sur L'intrusive (31)
J'ai simplement accepté qui j'étais, et comment j'étais une autre version de ma mère, d'une certaine façon.
Ce n'est pas la domination physique qui fait que Lucie est plus forte que toi, c'est parce qu'elle se nourrit de ta peur. Si tu ne lui donnes pas ça, elle n'est pas plus grande, pas plus forte que toi.
Je vois qu’il y a une femme et un homme, mais je n’arrive pas à comprendre s’ils sont dans une étreinte amoureuse ou en conflit. Les mouvements ne sont pas harmonieux, il ne s’agit pas de caresses. Il y a quelque chose d’agressif dans ce qui se déroule en apesanteur, mais il est impossible de dire avec précision ce qui est violent. Plus le couple bouge et plus les membres se fondent les uns dans les autres, se forment et se reforment dans une danse qui n’a rien à voir avec l’anatomie d’un corps normal. Il est maintenant impossible de savoir où l’un finit et où l’autre commence. Ce n’est pas de la complétude. C’est presque une forme étrange de cannibalisme. C’est étouffant. C’est un désir oppressant, parce que pour une raison que je ne peux préciser, je suis maintenant convaincue que j’assiste à un échange sexuel. Même s’il n’y a rien d’habituel dans ce qui se déroule sur l’écran, dans ce qui pénètre et ce qui est pénétré, il n’y a aucun doute. C’est érotique.
Depuis bientôt deux mois, je ne dors presque plus. Des journées entières sans une seconde de sommeil et quelque chose en moi est sur le point de se briser. Je regarde le psychiatre devant moi. Regarder me fait mal. Je dois insister pour que le focus se fasse, sinon tout est un peu embrouillé. J’ai mal aux yeux. J’ai mal en dessous des yeux. J’ai mal partout. Lui, il ne regarde pas ma souffrance. Derrière le bouclier de son bureau, ses yeux passent du cadre avec les trois vases de verre vert à ma gauche aux rideaux beiges à rayures beiges à ma droite. C’est de la lâcheté. Il n’est pas capable d’admettre qu’il échoue. Il n’a pas le courage d’affronter mon visage ravagé par les preuves de son incompétence.
Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je viens de voir un rêve qui n’est pas le mien. Un rêve intime, personnel. Dérangeant. Un désir secret, privé, qui semble aboutir sur une explosion de tension, peut-être un orgasme. Je viens de voir un putain de rêve enregistré dans la tête de quelqu’un. Pas un film. Pas un montage. Un rêve.
Si l’inconscient fait son boulot, il protège des choses que l’on préfère ignorer. Personne ne se raconte tout, Camille, surtout les désirs réprimés, ceux que l’on ne veut pas admettre, peut-être même que l’on ne réalise pas avoir. Ce qui amène les gens à mentir lorsqu’ils racontent leurs rêves, à oublier ou à omettre intentionnellement des détails, par gêne, par refus d’y faire face.
Les rêves révèlent beaucoup de qui nous sommes. À mon avis, c’est la façon dont notre inconscient se raconte le mieux, mais on les oublie ou on les raconte mal, on les déforme dès le réveil, pour les ordonner, leur donner plus de sens.
Je dois réfléchir, me souvenir, ce qui déclenche un autre élancement douloureux dans ma tête, comme une fine épée que l’on pousserait doucement à la base de ma nuque pour transpercer mon cerveau, trancher mes pensées, sectionner mes sensations. Est-ce que je lui parle de Jeanne? Non. Je regarde Gabriel. Il ne bouge pas. Il est trop immobile. Je ne vois même pas son torse se soulever au rythme de sa respiration.
Il y a un demi-sourire qui apparaît sur ses lèvres. Ce n’est pas un sourire, c’est une expression qui me donne envie de me cacher quelque part, juste pour ne pas être ici, coincée dans une robe de chambre qui me rappelle trop une camisole de force. Je ne peux pas bouger mon bras gauche, et l’immobilité me fait mal. Je regarde le plafond bourgogne qui ne reflète aucune lumière. Ça donne l’impression que les murs sont trop près. C’est oppressant.
Je déteste cette sensation d’incapacité. Il expire pour me faire entendre son irritation devant ce qu’il semble interpréter comme un caprice, puis m’aide à enfiler mon bras libre. Il fait passer le vêtement dans mon dos et s’approche au point de m’enlacer, mais il recule et boucle la ceinture, trop serré pour mon bras blessé. Ses cheveux sentent la pluie et le bois, peut-être du cèdre? La robe de chambre est trop longue, elle traîne par terre.