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Critique de HundredDreams


J'ai adoré les précédents romans d'Isabelle Duquesnoy, « L'embaumeur » et « La Pâqueline ou les mémoires d'une mère monstrueuse ». Alors, lorsque l'opportunité m'a été offerte de découvrir le tout nouveau roman de l'autrice, la tentation était trop grande et c'est avec un plaisir non dissimulé que j'y ai succombé. J'en remercie l'équipe de Babelio, les éditions Laffont et Isabelle Duquesnoy pour ce très beau cadeau.

Ce récit historique nous plonge sous le règne de Louis XIV, entre 1679 et 1682, au coeur d'une sombre affaire qui va secouer la monarchie et la noblesse courtisane. Sous fond d'empoisonnements, de sorcellerie, de rites occultes, de messes noires, cette affaire va provoquer un véritable scandale politique et donner lieu à une chasse aux sorcières.

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Lorsque le roman démarre le 22 février 1680, une foule est rassemblée en place de Grève pour assister à l'exécution de la célèbre Catherine Monvoisin, surnommée la Voisin.
Condamnée à être brûlée vive, elle fera partie des 36 condamnés à mort pour actes de diablerie.

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Marie-Marguerite Voisin, sa fille, est emprisonnée à Vincennes, comme beaucoup d'autres. Accusée de complicité, « La chambre des diablesses » est le récit de sa confession.

« Mais qui se risquerait à fricoter avec cette jeune fille, que l'on dit née d'une orgie entre le diable et une sorcière ? On raconte qu'elle n'a pas de nombril, et qu'elle porte un troisième téton caché sur son corps. Preuve de son appartenance à la famille des démons. »

Dès son plus jeune âge, elle a été initiée à la distillation des plantes, à la fabrication de pommades miraculeuses, de poisons. Elle connaît tous les secrets de sa mère et a été témoin des allers et venues de riches clients issus de la noblesse et de la cour, dont la favorite du roi, Athénaïs de Montespan.

« L'ambition de ces couillons est le lit de ma richesse. »

Dans l'espoir de ne pas être torturée, ni exécutée, elle va raconter comment sa mère, au départ sage-femme, va se tourner vers des activités illégales, l'avortement, la divination, la chiromancie, la cartomancie, la sorcellerie, jusqu'à bâtir un commerce excessivement lucratif et se retrouver impliquée dans des messes noires et une tentative d'empoisonnement contre le souverain.

"N'oublie jamais ça : je vends des remèdes à des femmes désespérées qui n'ont aucun droit ni aucun moyen honorable de gagner leur propre argent.
Telle est la misère des nobles clientes qui fréquentent ma maison.
De quoi nous les faire prendre en pitié quelquefois."

S'il n'y a aucun suspense quant au sort de la Voisin, le lecteur se demande jusqu'au bout quel sera celui réservé à la jeune femme à laquelle on ne peut que s'attacher.

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Ainsi, Marie-Marguerite nous fait entrer dans l'intimité de la plus célèbre des empoisonneuses, une femme mystérieuse, fascinante. On l'imagine aisément intelligente, réfléchie, flatteuse, insensible, redoutable, mais à la lumière des révélations faites, le lecteur la découvre aussi libertine, infidèle, terriblement grossière et vulgaire.
J'aime lorsqu'Isabelle Duquesnoy est provocante, insolente, inconvenante. Ici, la personnalité de la Voisin se marie parfaitement avec la plume expressive et enlevée de l'autrice qui n'hésite pas à l'affûter, offrant, pour le plus grand plaisir des lecteurs, un texte irrévérencieux, d'une vivacité acérée et mordante.
Ses personnages, saisissants de vie, sont croqués avec profondeur.

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Alternant narration et correspondances adressées à La Reynie, lieutenant général de la police de Paris en charge de l'affaire des poisons, j'ai été totalement transportée dans le Paris de XVIIème siècle.

« Sa Majesté sait-elle qu'un demi-million d'âmes parisiennes luttent pour survivre ? Nos rues ne sont peuplées que de fripons, occupés à ruiner le provincial. L'on dit que les devineresses sont les pires diablesses ? Mais les rues chantent partout : « Les procureurs sont des voleurs, les demoiselles du Marais ont la vérole, le cabaretier vend du poison à boire, le meilleur médecin n'est qu'un assassin, les joueurs sont des tricheurs et vite, quittons cette ville infâme… » »

A travers le portrait des deux femmes, se dessine celui d'une époque de faste, où splendeur rime avec faveur, séduction avec ambition, préséance avec médisance, cupidité avec rivalité, influence avec concupiscence, ennui avec jalousie.
L'autrice nous dépeint avec beaucoup de réalisme, la cour du Roi Soleil, à la pointe de l'élégance et de la grâce, mais cachant assez mal la crasse et les traces de maladie de peau sous les fards, les onguents et les parfums.

« … les minauderies et les situations correspondent bien à l'époque. Les fastes de Louis XIV comme ses perruques ont couvert la décadence des aristocrates, leur crédulité, leur corruption. Et la condition pitoyable des femmes, riches comme pauvres. »
- Prologue -

A la lecture de ce roman, on appréhende aisément le sérieux travail de recherche qu'Isabelle Duquesnoy a effectué dans les archives relatant le procès, mais aussi dans les différents écrits décrivant les moeurs, les croyances, la vie quotidienne et le statut des femmes de l'époque.

« Par exemple, lorsque le maître de maison meurt, on doit toujours les avertir. Les maisons qui rechignent à leur annoncer le décès payent cher cette étourderie. Eh oui ! Quand on oublie de les prévenir, les abeilles retournent butiner… Et deux jours plus tard, leur miel a un goût de larmes. Il devient salé et il ne guérit plus les maux. »

Dans le prologue, l'autrice souligne le travail délicat d'écriture entre une rigueur historique, un français classique du XVIIème, et un vocabulaire abscons plus usité.

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Le monde de l'occulte est passionnant, mais forcément dérangeant. Avec l'aide de l'abbé défroqué Guibourg et d'un escroc du nom de Lesage, la Voisin n'a pas hésité à empoisonner, pratiquer des avortements, organiser des messes noires où des nourrissons et des jeunes enfants étaient sacrifiés.
Le récit est glauque, effarant, violent, mais également très prenant, car l'horreur est atténué par le regard moqueur, railleur de l'empoisonneuse et par des descriptions qui suggèrent plus qu'elles ne disent. L'écriture de l'autrice suscite ainsi un curieux mélange de fascination et de répulsion, d'enthousiasme et d'aversion.

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Pour conclure, Isabelle Duquesnoy excelle à brosser des portraits passionnants. Celui de la Voisin, femme de caractère, sans morale et meurtrière, est superbement restitué.

Historienne, diplômée d'histoire des arts et de restauration des oeuvres d'art, l'autrice réussit avec beaucoup de talent à rendre l'Histoire de France captivante. Son style plein de morgue, d'autosuffisance et de désinvolture fait de cette lecture, un récit original et truculent qui change des romans historiques plus austères.

Une rencontre saisissante, à découvrir bien sûr.
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