AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Readeronthestorm


Un essai absolument remarquable, d'une grande puissance philosophique, qui propose une vision du féminisme très différente, voire opposée, à celle qui domine actuellement dans le paysage universitaire et médiatique, sans qu'on puisse nier ici la rigueur de l'argumentation ni les possibilités d'émancipation ouvertes par la réflexion de Marianne Durano.
L'autrice conteste le processus en cours de construction d'une indistinction sexuelle. Si les femmes peuvent sans problème, selon elle, "jouer à Batman ou devenir entraîneuses de ping-pong", bref s'épanouir dans toutes les activités professionnelles et sociales traditionnellement réservées aux hommes, elles n'en conservent pas moins une caractéristique fondamentale, et qui les distingue absolument des hommes : la possibilité d'engendrer, de mettre au monde des enfants. Or, dans la société actuelle, l'émancipation des femmes semble devoir passer, relève Durano, par l'étouffement de cette possibilité, permettant une forte limitation de la prise en compte des spécificités féminines, et par suite une forme de disciplinarisation de la femme, mise à disposition, dès son plus jeune âge, des hommes comme partenaire sexuelle sûre parce que stérilisée, puis à l'âge adulte, du capitalisme comme travailleuse sommée d'enfanter le plus tard possible. Cette double opération visant à stériliser les jeunes femmes fécondes puis à rendre fécondes les femmes d'âge mûr devenues stériles se réalise au profit d'une "phallocratie" (plutôt que d'un patriarcat), pensée individualisante et neutralisant (c'est à dire virilisant) le sexe des personnes. En réponse, Durano prône, pour les femmes et leurs partenaires de vie, l'écoute des cycles du corps, le respect des âges biologiques, l'adaptation enfin de la société à la réalité biologique, plutôt que l'inverse.
Dans une succession de chapitres très bien organisée, Durano remet ainsi en cause la perception sociale de la grossesse, le contrôle gynécologique opéré sur les femmes, la réduction de la sexualité à une activité pénétrative constante, le chantage à l'absence d'enfants exercé sur les travailleuses, le vice de la contraception forcée, la maternité comme marchandise, et enfin le cadre théorique de la dévalorisation des femmes, hérité de Platon et de la philosophie médiévale, et paradoxalement réactivé par le féminisme contemporain, notamment derrière Simone de Beauvoir.
Une limite : bien que Durano se défende de vouloir revenir à un modèle patriarcal classique (et c'est souvent vrai, elle défend la place des femmes comme travailleuses, comme citoyennes, etc.), il semble que dans son esprit seul le modèle du mariage fermé et de la famille nucléaire puisse vraiment sortir les femmes de l'ornière où elles sont actuellement tombées. La sexualité récréative semble condamnée - au profit il est vrai d'une sensualité exacerbée avec son conjoint. On relève un ou deux paradoxes : ainsi, Durano considère que la grossesse pour autrui est si éprouvante qu'elle ne peut qu'être achetée, et jamais altruiste, mais elle défend la possibilité de remplacer l'avortement par le "don" d'un bébé à un couple ne pouvant en avoir, ce qui semble exactement la même chose. Surtout, la défense du "foyer" proposée semble un peu trop individualiste, repliée sur soi, adoptée finalement à des personnes très qualifiées qui comme Marianne Durano elle-même (prof agrégée de philo) n'ont pas besoin d'une solidarité matérielle ni morale.
Malgré ces quelques points de débat (selon moi), il s'agit à mon avis d'une oeuvre majeure qui, parce qu'elle va à contre-courant, n'a pas eu le retentissement médiatique et intellectuel qu'elle méritait.
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}