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Critique de Fabinou7


La chaleur écrase d'emblée. Anesthésie des sentiments. L'action sédative des vapeurs d'alcool imbibant les pages achève l'abattement du lecteur.

Cet engourdissement fait de Duras une lecture immersive. La mort, l'adultère, le drame paraissent en apesanteur. On croit bien que quelque chose se passe, mais on ne peut pas vraiment réagir, l'action est inhibée. Pour le personnage comme pour le lecteur. Une sorte de nivellement des évènements.

« Qu'est-ce qu'on ne fait pas trop tard dans la vie ? Et qu'est-ce que ça veut dire se lever à l'heure ? »

Les petits chevaux, c'est la chaleur, “égale à elle-même”, du matin jusqu'à dix heures et demi du soir en été. La chaleur est un personnage du roman, l'été un adjuvant. C'est le désir en tension, la lassitude des couples qui s'aiment. Inextricable. Ils rient de ça. de cet ennui-là. le rire chez Duras rend toute dramatisation convenue, exagérée, impossible. Pas de guimauve. le rire est résilience chez Duras. Il est recul, il est dépassionné, fatalité ou rédemption. On rit pour parler. Pour pas parler.

« Si tu n'aimes faire l'amour qu'avec un seul homme, alors c'est que tu n'aimes pas faire l'amour.” Liberté tranquille des moeurs, sans militantisme, « la littérature doit être scandaleuse, représenter l'interdit » disait Marguerite Duras. L'interdit (très relatif) de l'adultère confine au plaisir quasi-avoué du partage de l'être aimé. Il y a une connaissance de ça. du désir de l'autre. Comme une anesthésie locale de la jalousie. Une acceptation, une anticipation. L'envie d'être l'amie du désir de lui. Comme un avant-goût de ce que sera le fameux ravissement de Lol V. Stein.

« Les couples sont fatigants à vivre. Tous ». La villégiature de Sara, Jacques, Diana, Ludi et Gina en Italie, juste après l'accident mortel d'un jeune homme, semble insupportable à ce groupe d'inséparables. Ils voudraient être ailleurs, partir à Pointa Bianca ou Tarquinia. Duras déploie une mythologie des vacances bourgeoises, ces moments arrachés au travail, où tout peut basculer, les jours, si peu nombreux, qui passent avec leur programme sans cesse reporté, la tentative d'instaurer une routine éphémère, les boules à telle heure, l'apéro à tel endroit.
« Pourquoi on est tous méchants comme ça ? » Gina et Ludi s'adressent tous les reproches du monde et une assiette de vongoles suffit à créer l'étincelle, Sara aussi voit s'allumer l'étincelle dans les yeux de l'homme au bâteau, sous le regard de Jacques.
« Nous arrivons chargés d'encombrants paquets de vie » écrivait Tristan Tzara. En réalité, le groupe peut bien être en congés estival, “il n'y a pas de vacances à l'amour. Ça n'existe pas. L'amour, il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, Il n'y a pas de vacances possibles à ça.”

« Ce n'était pas si grave, dit-elle, des vacances que je voulais prendre de toi. - je sais. Tu es libre de les prendre.” quelques mots, quelques caresses esquissent un autre avenir possible, mais on ne peut pas vivre toutes les vies ensembles. On ne saura pas ce qui aurait pu être, si après la partie de pétanque, on va à l'autre bal, sur l'autre rive. On ne saura pas non plus si le « macadam a jamais tué aucun arbre ».

« C'est ceux qui se plaignent le plus de leur vie qui en changent le moins volontiers ». Un livre presque scénaristique. Les dialogues avant tout. Tantôt brumeux, tantôt obsessionnels, martelés, comme un rythme implacable, un jour, deuxième jour, la ritournelle des vieux sur la colline, avec l'épicier, de la vieille qui ne signera pas, elle refuse ça encore à la douane. La moindre banalité revêt, par sa solennité impromptue, le caractère d'acmé du livre.

« Si dure qu'elle eut été, chacun tenait à son existence et était prêt à la justifier comme étant la moins mauvaise » Les personnages sont comme filmés. le lecteur n'accède pas davantage à leurs pensées que le spectateur dans une salle de cinéma, tout au plus quelques traits qu'en projection nous lirions aisément sur un visage nous sont retranscrits. C'est formidable pour le lecteur, la liberté que ça lui laisse de construire son décor, sa chaleur, son désir.

“Avant tout, c'est contre la vie qu'elle en a ou... contre leur fidélité, c'est pareil. -est ce qu'il y a des fidélités qui ont un sens ? (...) - je crois que oui (...) celles-là précisément, auxquelles on ne peut se soustraire.” Ressemblances dans l'architecture avec « dix heures et demi du soir en été », écrit 7 ans plus tard. le décor est toujours la sueur de l'été, dans un pays sec, comme l'Espagne ou l'Italie. On retrouve certains tropismes de la romancière : le triangle amoureux, les vacances, l'enfant unique, l'alcool, un drame : l'accident du démineur ou le meurtre par Rodrigo Paestra.

“Il faut toujours se mêler des histoires des autres”. Ce ne sont pas seulement les camparis bitter qui causent l'ivresse littéraire que l'on ressent face à Tarquinia, publié en 1953, si la jeune romancière de trente-neuf ans n'a pas encore l'économie de mots et de moyens de ses derniers livres, elle impose déjà son style, reconnaissable entre tous.

Bel été,
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