Il existe bien des raisons pour l'homme de vouloir engendrer. Se prolonger par des fils est le premier des plus anciens rêves mâles ; il y a aussi le besoin de régner sur ce qui est jeune et faible et dépend de voud, reedoublement de la satisfaction que le phallocrate tire de la femme-épouse ; mais dans les cultures du passé et jusqu'à ce jour encore dans les couches populaires, paysannes surtout, il s'agit d'enchaîner la femme à sa propre espèce, de "l'empêcher de courir", de lui faire sentir concrètement sa lourdeur d'animal, d'inférieure. "Saisie par le talon, elle qui marchait si légèrement sur les eaux", dit Virginia Woolf d'une de ses héroïnes dans La chambre de Jacob.
La femme la plus ignorante intériorise et vit dans son inconscient, dès la puberté, parfois même plus tôt, tous les jugements que les mâles ont portés sur elle à travers les siècles. C'est ce qui lui donne son comportement, sa mentalité d'accusée. Elle est accusée devant l'homme, comme celui-ci, naguère, devant Dieu. Et la femme la plus ignorante regarde autour d'elle avec crainte, se cherche des excuses, respire en prévenue perpétuelle. Pas besoin d'avoir lu Tertullien ni Nietzsche. Une femme doit se justifier à chaque instant de sa vie. C'est ce qui lui fait chercher si passionnément la beauté, l'amour, le mystère, les enfants, non comme des biens aussi naturellement désirables que la puissance ou la possession à l'homme, mais comme autant d'alibis, de bons points, de témoignages favorables à la défense. [...] La femme qui aime doit se faire tout pardonner.
[...] Je ne supporte l'idée d'une lutte que si elle se jette, comme le fleuve dans la mer, dans le combat pour la Totalité.
Je suis vraiment navrée si "cette parole est trop dure", comme disaient les Disciples. Qui puis-je ? Je suis née dans cette culture mâle, comme tout le monde ; je l'ai assimilée, je l'ai respectée, je l'ai parfois aimée ; me révolter contre elle est plus déchirant qu'on peut le croire, car c'est me révolter contre toute une partie de moi. Que ceux qui ont fait cette culture et me l'ont enseignée soient mes ennemis en tant qu'oppresseurs, participent au malheur qui écrase toute femme en tant que femme, ce n'est pas une vérité que je crie avec triomphe, c'est une constatation que je formule dans la douleur er la consternation. Cette parole "trop dure", elle n'en est pas moins vraie, brutalement vraie, jusqu'au drame.
(Préface de Myriam Bahaffou et Julie Gorecki)
Là encore, il n'y a qu'un féminisme occidental pour penser le refus de la maternité comme une libération pour toutes. L'appel à la grève des ventres place le refus d'enfant comme curseur féministe de libération, ce qui est très problématique quand on sait l'histoire coloniale de la pilule, les politiques de stérilisation massives et la dévaluation des maternités non blanches.