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Critique de Tempsdelecture


Je n'ai pas encore fini de lire tous les romans de la rentrée littéraire de septembre que j'avais repérés, que nous voilà en janvier, abordant les sorties de cette rentrée d'hiver. Et je commence par un joli roman qui une fois n'est pas coutume sur le blog nous emmène en Turquie. Trésor National sort le 12 janvier, son auteure Sedef Ecer est une femme de lettres turque, qui s'est essayée à diverses forme d'écritures, articles, billets d'humeurs, chroniques aussi bien que « micro-nouvelles » ou encore recueils de mails, scenarii de longs métrages, ou encore documentaires, aussi bien en turc qu'en français. Elle est désormais romancière et compte quelques textes dramatiques à son actif. Trésor National est le premier roman qu'elle ait écrit, en français, et elle a mis au service de cette belle fiction – elle affirme dans une brève postface que ses personnages relèvent de la fiction pure – ses talents de comédienne autant que d'écrivaine.
Dès le début, les choses sont claires. On rentre dans la tragédie, sa dimension mythique, d'une famille turque. Avec la voix narrative qui fait office de choeur, de coryphée. Electre qui raconte Clytemnestre, sa mère. Trois coups d'état, trois actes, les jalons sont posés, à peine la pièce commence, que cela s'annonce d'or et déjà éclatant, flamboyant. à l'image de ce trésor national, cette mère qui occupe le rôle principal du récit de la narratrice, dépossédée depuis longtemps de sa génitrice, qui appartient à tous, sauf à elle. Ce qui me ravit encore plus, c'est la perspective de ce récit quasi-totalement sous l'égide de figures féminines, qu'elle soit narrative, sujet ou même témoins ou interlocutrices. Plusieurs choses brillantes dans ce roman : l'histoire et la personnalité de cette femme-reine, hors-du-commun, cette « Sultane » pas loin de tenir la place de notre BB à nous, icône incontestable de la scène dramatique turque de cette seconde partie de XXe siècle. La fille reconstruit pièce après pièce de l'histoire l'icône qu'était sa mère, cette actrice qui a vécu ses plus grands rôles sur scène, délaissant celui de mère car personne ne fait vraiment le poids face à Iphigénie ou Clytemnestre.

Parce qu'inutile de dire que la narratrice de là où elle vit en France revient sur l'histoire de sa mère, du couple formé par ses parents, car la relation mère-fille, de problématique et conflictuelle, est devenue inexistante. J'ai trouvé la recherche de la vérité de Julya extrêmement bien et finement agencée, cette jeune fille écrasée par la personnalité de sa mère – comment faire le poids face à ce Trésor National – elle s'est construite en opposition à elle, et l'âge de la maturité venant, aidé par les années et les kilomètres de séparation, c'est une sorte d'apaisement qu'elle recherche. La vérité sur la disparition de son père, journaliste reporter, qui se fraie doucement le chemin à travers le récit de sa fille apporte à ce roman une pointe de suspens et de mystère bienvenue. Les choses ne s'avèrent pas être comme ce que l'enfant qu'elle était voyait et ressentait, l'âge et les témoignages de l'entourage apportent des lumières nouvelles sur l'histoire plutôt déroutantes.

Et puis observer la transformation de Julya, anciennement Hülya, qui a abandonné sa peau de jeune fille turque à travers son exil en France, qui a rejeté sa culture autant qu'elle a pu, se transformant en une autre, aidée de son nom marital bien français. Une ambiguïté de celle qui dénonce la vie factice de sa mère, qui vit dans les mensonges, alors qu'elle-même renie son identité. En adoptant tous les codes de ce qu'elle pense être la française pendant des années, ce reniement s'est finalement retourné contre elle la poussant à un retour aux sources. Car finalement, son histoire, comme celle de sa mère est rythmée par les coups d'état du pays, qui à chaque fois, imposent une nouvelle façon de vivre, qui lui permet en tout dernier lieu de reconstruire un fragile pont avec sa mère.

De nombreux passages en rapport à l'histoire turque, sur laquelle j'ai peu de repères, interviennent évidemment très souvent, qui marque en outre l'histoire de la famille et de la mère, elle en structure d'ailleurs le récit de à travers les trois coups d'état. J'ai particulièrement apprécié cet aspect-là du roman, comme souvent j'apprécie les digressions historiques de pays que je connais peu, d'autant que l'histoire turque est particulièrement dense et riches en influences étrangères. C'est d'ailleurs un trait que la narratrice souligne quelquefois, Istanbul est une ville à deux pieds entre le continent européen et le continent asiatique. Une ville finalement très ressemblante à l'identité de Julya, mi-turque mi-française.

Comment ne pas aimer ce roman, bourré de qualités, qui nous conte la personnalité de cette divinité, vénérée et adorée par un pays tout entier, de cette famille, qui subit la malédiction d'un pays mu par de multiples influences. Je me suis laissée gagnée avec plaisir par l'effervescence du retour en arrière de Julya, son passé, celui témoin d'un bonheur de vivre dans une Turquie libre et tolérante qui n'existe aujourd'hui guère plus que dans les mémoires. C'est tout autant les retrouvailles avec un pays chéri, qui ne lui concède plus le droit d'y retourner, elle désormais instituée come ennemie politique. C'est, à mon avis, l'un des beaux romans de cette rentrée d'hiver, une belle lecture qui va contribuer à nous aider à passer le cap de cette nouvelle année.





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