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Critique de polinna


Il y a cinq ou six ans, Gloire Abgrall a chanté quelques tubes qui lui ont attiré les regards de la presse people. Depuis, elle s'est installée dans un petit village breton, loin des projecteurs, où elle fait tout pour rester cachée, transformant la superbe grande blonde qu'elle est en une femme commune, presque laide, aux cheveux châtains et attifée de façon grossière. Mais elle se rend vite compte qu'elle est recherchée, ce qui n'est pas pour lui plaire. Paul Salvador, producteur d'émissions télévisées, veut refaire lumière sur elle à l'occasion d'une émission sur les grandes blondes connues. Puisque Gloire est devenue introuvable, il fait appel à une société de détectives privés. Mais la jeune femme, n'ayant pas la conscience tranquille et supposant qu'on la recherche pour d'autres raisons, se débarrasse violemment du premier enquêteur lancé sur sa piste, avant de fuir à l'étranger, suivant les conseils de « l'homoncule » Béliard, son improbable « ange gardien » à la nature indécise qui, lui, semble bien connaître ses penchants meurtriers.

L'intrigue ainsi posée prend rapidement une tournure bien légère, car peut importe le meurtre, ce traditionnel déclencheur de l'action dans un polar, on s'y attarde autant que sur le ramassage des épluchures de légumes de l'ex-star… Non, ce qui compte ici, c'est la thèse de Salvador ! « Les grandes blondes constitueraient un groupe à part, ni mieux ni pire mais spécial, gouverné par des lois spécifiques, régi par un programme particulier : irréductible catégorie d'humanité. Bref, les grandes blondes contre le reste du monde. »

Oublié le meurtre donc, et place à un récit triangulaire au dérisoire déconcertant. D'un côté la réflexion de Salvador autour de son émission s'enlise dans le loufoque et le ridicule. D'un autre, Gloire fuit à travers le monde, passant son temps à s'ennuyer, à regarder la télé et à faire des rencontres sans intérêt. Et puis, Boccara et Personnettaz, sorte de « duo de choc » caricatural formé par les nouveaux détectives engagés par Salvador, courent après Gloire et sans cesse la manquent.

Bref, le récit piétine. Il ne se passe quasiment rien. Les personnages, risibles, sont le plus souvent tournés vers leurs petites préoccupations individuelles et semblent tout droit sortis d'un mauvais téléfilm policier, d'une BD cliché ou encore d'un dessin animé. Les actions, futiles, simplistes ou cocasses, moulinent constamment, accompagnées par l'omniprésence d'une image télévisuelle médiocre et abrutissante. Les affaires « graves » sont traitées avec le plus grand détachement : le meurtre, mais aussi l'esclavage, la drogue, la prostitution, le commerce de produits radioactifs ou d'armes de guerre… Signes d'une société du règne de l'individualité, du vide, du non sens, de la loi du marché ?

Si en ce monde rien n'est sérieux, ici non plus. L'écriture elle-même ne l'est pas. Elle revisite avec légèreté un genre très codé, le polar, conduit par un narrateur qui mine son récit par sa distanciation ironique, s'exprimant par digressions constantes, formules drolatiques, commentaires et jugements saugrenus ; il sait et puis ne sait plus, il place le lecteur à tel endroit puis le déplace ; il montre les mécanismes de son écriture, exhibant la fausseté du principe de l'écriture réaliste.

Mais cet exercice, qui assume et même revendique sa dimension « faiblarde », ne dissimule pas tout à fait une construction complexe et minutieusement réglée. Echenoz réalise avec Les Grandes Blondes un véritable tour de force postmoderne, tel un miroir grossissant et – si peu – déformant de notre société, incroyablement déroutant, parfois agaçant, le plus souvent jubilatoire.
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