Mathieu Lindon Une archive - éditions P.O.L où Mathieu Lindon tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Une archive", et où il est notamment question de son père Jérôme Lindon et des éditions de Minuit, des relations entre un père et un fils et entre un fils et un père, de Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Marguerite Duras et de Robert Pinget, de vie familiale et de vie professionnelle, de l'engagement de Jérôme Lindon et de ses combats, de la Résistance, de la guerre d'Algérie et des Palestiniens, du Prix Unique du livre, des éditeurs et des libraires, d'être seul contre tous parfois, du Nouveau Roman et de Nathalie Sarraute, d'Hervé Guibert et d'Eugène Savitzkaya, de Jean Echenoz et de Jean-Phillipe Toussaint, de Pierre-Sébastien Heudaux et de la revue Minuit, d'Irène Lindon et de André Lindon, d'écrire et de publier, de Paul Otchakovsky-Laurens et des éditions P.O.L, à l'occasion de la parution de "Une archive", de Mathieu Lindon aux éditions P.O.L, à Paris le 12 janvier 2023.
"Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça ? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été ?"
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J’écris pour moi en tant que lecteur. J'écris ce que je souhaiterais lire.
- L'amour, tu vois, lui a-t-il expliqué,c'est vraiment comme la neige à Paris. C'est bien joli quand ça vous tombe dessus mais ça ne tient pas. Et ensuite c'est foutu.soit que ça vire à la boue, soit que ça vire à la glace, très vite c'est plus d'ennuis que d'émois.
Personne ne se repose jamais vraiment, on imagine qu’on se repose ou qu’on va se reposer mais c’est juste une petite espérance qu’on a, on sait bien que ça n’existe pas, ce n’est qu’une chose qu’on dit quand on est fatigué
Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas l'opéra, même si, comme lui, c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui ça fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux.
... non contents d’essuyer les tirs venus de l’ennemi, ils ont commencé de recevoir aussi dans le dos des balles imprudemment tirées par leurs propres forces, après quoi le désordre s’est vite installé dans les rangs. C’est qu’on était sans expérience, les accrochages commençaient à peine : ce ne serait que plus tard, pour pallier de tels impairs et se faire mieux repérer par les officiers observateurs, qu’on recevrait l’ordre de coudre un grand rectangle blanc dans le dos de sa capote.
... Un casque censé protéger l'homme plus sérieusement, mais dont les modèles initiaux étaient peints en bleu brillant. Quand on les a coiffés, on s'est d'abord bien amusés de ne plus se reconnaître tant ils étaient couvrants. Quand ça n'a plus fait rire personne et qu'il est apparu que les reflets du soleil produisaient d'attrayantes cibles, on les a enduits de boue comme on l'avait fait l'an passé pour les gamelles.
On ne s'expose pas sans risque aux confidences comme à certaines radiations.

Au sommet de chacun des clochers, ensemble et d'un seul coup, un mouvement venait de se mettre en marche, mouvement minuscule mais régulier : l'alternance régulière d'un carré noir et d'un carré blanc, se succédant toutes les deux ou trois secondes, avait commencé de se déclencher comme une lumière alternative, un clignotement binaire rappelant le clapet automatique de certains appareils à l'usine : Anthime a considéré sans les comprendre ces impulsions mécaniques aux allures de déclics ou de clins d'œil, adressés au loin par autant d'inconnus.
Puis s'arrêtant aussi net qu'il avait surgi, le grondement enveloppant du vent a soudain laissé place au bruit qu'il avait jusqu'ici couvert : c'étaient en vérité les cloches qui, venant de se mettre en branle du haut de ces beffrois, sonnaient à l'unisson dans un désordre grave, menaçant, lourd et dans lequel, bien qu'il n'en eût que peu d'expérience car trop jeune pour avoir jusque-là suivi beaucoup d'enterrements, Anthime a reconnu d'instinct le timbre du tocsin - que l'on n'actionne que rarement et duquel seule l'image venait de lui parvenir avant le son.
Le tocsin, vu l'état présent du monde, signifiait à coup sûr la mobilisation.
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Anthime avait commencé ... par tailler des lacets dans les courroies abandonnées. Puis, l’idée lui étant venue d’utiliser ces mêmes courroies comme bracelets qui, noués puis munis d’un fermoir, permettaient de fixer au poignet les montres à gousset par soudures d’anses à midi et six heures, il avait ainsi cru inventer le bracelet-montre. Il caressait ensuite le magnifique projet de faire breveter cette invention à son retour – avant d’apprendre alors que cette idée avait été conçue dix ans plus tôt par Louis Cartier pour aider son ami Santos-Dumont, cet aviateur s’étant plaint de ne pouvoir extraire sa montre de sa poche en pilotant.
Rien n'est ennuyeux comme les récits de rêve. Même s'ils ont l'air à premiere vue drôles, inventifs ou prémonitoires, leur prétention de film à grand spectacle est illusoire, leurs scénarios ne tiennent pas debout.