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Citations sur 3 minutes 33 secondes (31)

Ecoute, le jazz, c’est pas juste de la musique. C’est la vie.
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J'ai fermé les yeux.
Ensuite, je me réveille dans une autre pièce, une pièce froide qui m' est étrangère, dont les fenêtres donnent sur une vieille rue de Baltimore que je reconnais à peine. Allongé sur un lit, dans les draps moites d'une dame qui n'est pas ma femme. Dans la chambre blanche comme les blés sous le soleil du matin, une odeur sèche comme celle de la braise se dégage de son corps. Je voulais me tourner vers elle, ramener ses membres menus contre mon flanc comme je l'avais fait à peine quelques heures plus tôt, en embrassant sa gorge, là où ses clavicules se rencontrent, ses boucles sales et humides. Mais je l'ai pas fait. Quelque chose se soulevait en moi, comme une mauvaise digestion. De la poussière sur la table de nuit, un verre d'eau à moitié vide. Les cris des mouettes dehors. J'étais couché à côté de cette femme, lourd de malheur, en pensant à la mienne.
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Un homme a jamais rien vu de grand tant qu'il a pas posé les yeux sur un type de la trempe d'Armstrong. Voilà la vérité. Ces paupières tombantes, ce sourire aveuglant : le bonhomme était immense, majestueux. Mais autre chose aussi : il avait l'air rudement humain, comme s'il avait connu la souffrance pour son propre compte. Sa bouche était stupéfiante. Il s'était ruiné les mâchoires, avec la pression de toutes les notes aiguës qu'il atteignait depuis des années. Sa lèvre inférieure était légèrement entrouverte, comme un tiroir de velours rouge. Il a porté un mouchoir à sa bouche, essuyé un filet de salive. J'ai vu quelque chose en lui à ce moment-là : une sorte de patience dévastée, une terrible fatigue. Je connaissais cet air-là. Ma m'man l'avait eu toute sa vie.
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Les mois passaient comme rien. Tout Paris paraissait cuver sa cuite, cette lente guerre pour de faux qui ressemblait pas du tout à une guerre. Les Mangeurs de grenouilles campaient toujours derrière la ligne Maginot. Leurs soldats, avec leurs fines moustaches, bien sapés dans leurs treillis, s'étaient mis à jouer au football et à cultiver des roses assez robustes pour supporter le froid. Des militaires en permission erraient dans les rues dans la brume du matin, frissonnants et moroses comme des poètes privés de vin. Des fois on en voyait dormir sur les bancs des jardins publics, blottis dans la lumière grise. On dormait comme des morts en ce temps-là.
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Louis Armstrong ? Bon Dieu, je savais que ça y était, que c'était notre heure, notre vie. Les gens croient qu'une vie, ça s'étale sur des années. C'est pas vrai. Ça peut aller aussi vite que le feu d'une allumette dans une pièce obscure.
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J'étais pelotonné contre la fenêtre arrière de la Horch, ma veste de costume pliée sous ma tête. Les kilomètres de champs se succédaient, arides, dans l'obscurité. Je me souviens du soleil qui se levait, rouge, à l'est. Dalilah, l'odeur de sa peau, la fraicheur de ses doigts qui traçaient une ligne le long de mes côtes. Et ce vieux Paul ivre mort à son piano, Son rire d'ambre. Je me sentais lourd et vide, comme si une lumière s'était éteinte en moi. La Horch cahotait sur les routes de campagne, remontait sur la nationale. Et puis j'ai plus rien senti. Pas un pincement de chagrin, de dégoût, ou de colère. Rien.
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Paul ne tarissait pas sur lui, quel génie inouï c'était, quel talent rare. Un vrai virtuose. Moi, je pouvais pas quitter des yeux ses poignets maigrichons.
Mais quand il a soulevé son cornet, on lui a accordé un silence respectueux. Sa trompette avait l'air d'un truc bon marché, elle était cabossée comme un chocolat enveloppé de papier d'argent qui serait resté trop longtemps dans une poche. Il a posé ses doigts de lapin sur les pistons, incliné la tête, plissé l'œil gauche. « Buttermouth Blues», Ernst lui a crié.
Le môme a hoché la tête. Il s'est mis à taquiner l'air à travers le cuivre. Au début on était juste là avec nos instruments prêts à jouer, les yeux fixés sur lui. Rien ne se passait. J'ai lancé un regard à Chip et secoué la tête. Mais alors j'ai commencé à entendre, comme une piqûre d'épingle dans l'air - c'était vraiment aussi subtil -, le chant d'un colibri à une hauteur et une vitesse presque inaudibles. Ça ressemblait à rien de ce que j'avais jamais entendu. Le môme entamait le morceau par un angle bizarre, en faisant étinceler les notes comme du cristal. Il a fait une pause, pris une grande inspiration, et entamé une gamme à vous casser les oreilles, sur la lancée de la mesure invisible qu'il venait de jouer.
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Le jazz. Ici en Allemagne c'était devenu pire qu'un virus, On était tous comme des puces, nous les Nègres, les Juifs et les voyous de basse classe, décidés à produire ce tintamarre vulgaire pour entraîner de mignonnes petites blondes dans le vice et le sexe. C'était pas une musique, c'était pas une mode. C'était un fléau envoyé par les hordes noires maudites, fomenté par les juifs. Nous les Nègres, voyez-vous, on ne pouvait nous le reprocher qu'à moitié, c'est tout bonnement plus fort que nous. Les sauvages ont un instinct naturel pour les rythmes dégradants, aucun self-control à proprement parler. Mais les Juifs, mon frère, eux ils faisaient exprès de mijoter cette musique de la jungle. Tout ça faisait partie de leur plan démoniaque pour affaiblir la jeunesse aryenne, corrompre ses filles, diluer son sang.
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C'était la voix des dieux, tout ce cuivre. C'était le vieil Armstrong et le nouveau, l'essence concentrée de la maturité d'un maître et du gamin qu'il avait été, le gamin qui pouvait faire claquer ses glissandos comme des billes, les contre-ut perçants. Hiero balançait note après note, chatoyante comme le soleil qui glisse à la surface d'un lac, et Armstrong était l'eau, tout en profondeur et en pensée, pas une note de gâchée. Hiero ne faisait que tendre le bras, cherchant la rive ; Armstrong était là à l'appeler. Leurs trompes rendaient le son si nu, si brut, qu'on se rendait presque coupable de l'entendre, comme si on écoutait aux portes.
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C'était des rues de jazz, après tout. Cette musique y avait un jour accroché son chapeau et presque tout le monde avait eu envie de venir en jouer. On passait devant les pensions bon marché, les appartements abandonnés où les jazzmen étaient venus swinguer. On se baladait devant un Rat Mort délabré, la porte étroite et condamnée du Big Apple, devant le bon vieux Bricktop d'où Bechet et McKendrick avaient déboulé dans la rue en se tirant dessus, saouls comme des cochons tous les deux. Le long de la rue Pigalle et de la rue Fontaine y avait plus que l'écho de nos pas pour marquer le rythme. On était devenus maigres comme des lévriers, le corps tout en espoir et en os.
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