Les souvenirs des dernières vingt-quatre heures s’étaient littéralement effacés. Plus alarmant encore, lorsque je tentai de me remémorer certains détails des jours passés, je me butai à un néant des plus obscurs.
L’univers de Claire était sens dessus dessous. Au fond, je souhaitais qu’elle entende ce que j’avais à dire sur sa petite personne malpropre. Après tout, c’est moi maintenant qui subissais les conséquences de ses mauvaises habitudes de vie !
À la fois révoltée et troublée par la situation, je décidai de mettre fin à ce calvaire. En toute logique, je devrais réussir à réintégrer mon corps de la même façon que j’avais abouti dans celui de Claire. Je retournai donc dans la chambre avec la ferme intention de dormir.
Comment un homme aussi séduisant pouvait-il s’intéresser à une femme aussi… négligée ?
Une intense bouffée de chaleur monta en moi. J’avais beau, semblait-il, habiter le corps d’une autre personne, les sensations et les émotions qui me submergeaient étaient bien réelles.
Il me lança un regard narquois auquel je restai de marbre. Mon inertie parut l’inquiéter. Son sourire s’effaça. Il contourna le comptoir et s’approcha en me détaillant de la tête aux pieds. Sa proximité me rendit mal à l’aise. Gênée par l’examen visuel qu’il effectuait de ma personne, je toussotai et croisai les bras pour camoufler ma poitrine, dont la chemise de nuit en laissait un peu trop deviner les généreux contours.
Il n’y a rien de mieux pour remonter le moral que du comfort food.
La finesse de ses traits et son apparence soignée le paraient d’un charme naturel. Bouche bée devant son élégance, je restai muette. Le sourire ravi qu’il m’adressa me fit monter le rouge aux joues.
Tout ceci ne pouvait être réel. Il n’y avait qu’une seule explication possible : j’étais prisonnière d’un cauchemar plus que réaliste. Peut-être que si je replongeais dans le sommeil je me réveillerais dans mon propre corps ? Dans ma réalité ?
Ragaillardie par cet espoir, je détachai mon regard de la mystérieuse personne dont j’occupais le corps. Je captai alors le chatoiement d’un objet métallique sur le rebord de la baignoire. Une lame fine, tachée de sang. Fait étrange, une légère teinte rosée colorait l’eau qui emplissait les trois quarts de la baignoire. Je me penchai et y trempai le bout des doigts. Vu la basse température de l’eau, je jugeai bon de retirer le bouchon.
Avant de m’exécuter, je retroussai les manches de ma chemise de nuit. Je découvris alors un mouchoir imbibé de sang, collé à la peau de mon avant-bras gauche. Impossible de l’en détacher sans provoquer un douloureux tiraillement. Je plongeai le bras dans l’eau du bain et attendis quelques secondes.
Ma mémoire s’avérait peut-être défaillante, mais j’étais certaine d’une chose. Mes seins, d’ordinaire quasi inexistants, n’avaient pu prendre de telles proportions en un si court laps de temps.
Consommer de l’alcool à outrance n’était pourtant pas dans mes habitudes, mais je ne m’expliquais pas autrement mon état comateux, comparable aux contrecoups d’une nuit d’ivresse.
Plus je m’évertuais à percer le mystère de ma présence en ces lieux inconnus, plus ma mémoire s’effilochait. Les souvenirs des dernières vingt-quatre heures s’étaient littéralement effacés. Plus alarmant encore, lorsque je tentai de me remémorer certains détails des jours passés, je me butai à un néant des plus obscurs.