AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Darjeelingdo


Lundi 14 Novembre 2016, école primaire Martha-Desmuraux : Hannah, maîtresse en CE2, est emmenée, menottes au poignet et encadrée par six hommes en bleu. C'est ainsi que s'ouvre le nouveau livre de Samira El Ayachi. Pour savoir quel crime a commis cette institutrice, il faudra attendre les derniers chapitres du livre parce que pour l'instant, Hannah a d'autres préoccupations :

« C'est à mon père que je pense tandis que toute la honte du monde soudain m'attrape par derrière, s'accroche à mon dos, s'enroule doucement autour de mes épaules[…] L'enfance, toute mon enfance comme une claque froide se jette sur mon visage. »
Une enfance et une adolescence de fille d'immigré marocain, venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines de charbon du Nord de la France, «  gratter les fesses de la terre » comme il dit ! Son univers : les corons, petites maisons toutes en briques qui illustrent la couverture du livre, les terrils, Émile Zola et Germinal matin, midi et soir. Mais la jeune Hannah a aussi un paradis secret : la bibliothèque municipale et tous ces livres dans lesquels elle puise ses rêves d'émancipation. Et le rêve se réalise : études supérieures, et , CAPES en poche, Hannah devient enseignante.

Si Hannah pense à son enfance et à son père c'est qu'il a connu, lui aussi, le commissariat pour avoir voulu défendre ses droits et ceux des 3000 mineurs marocains lors des grèves de 1987. Cette histoire, elle ne l'a apprise qu'une fois adulte et elle découvre, et nous avec elle, cette main d'oeuvre « docile et flexible », avec des contrats temporaires, « des bras qu'on peut vite renvoyer » quand les mines fermeront .
C'est à travers les pages du journal tenu par le père d'Hannah que nous en apprenons plus sur la situation de ces hommes qui ont dû lutter pour obtenir le même statut que les autres mineurs et ne pas être contraints au retour. Samira El Ayachi a fouillé dans les archives et présente aussi en annexe des documents édifiants. Une découverte pour moi et une transmission émouvante d'un père à sa fille.

Autre point fort du livre : les interrogations d'Hannah sur sa position d'adulte et d'enseignante dans la France post-attentats de 2015 (« les peurs des uns, les ressentiments des autres ») et la mise en place dans les établissements scolaires des exercices « attentat/intrusion ».

« Comment se construire dans un pays qui a peur, qui a peur de lui-même, de ses enfants ? »
« Je reçois une liste de consignes, de circulaires. Désormais, il faut repérer, signaler, des enfants qui auraient un comportement inapproprié. Me cacher sous la table. Me laisser devenir un dommage collatéral d'une histoire qui a commencé.... Quand est ce que tout cela a bien pu commencer ? »
«  le cerveau de l'homme est sculpté par son environnement . Dans quel type d'environnement voulons-nous sculpter les cerveaux de nos enfants ? »

Ce sont des questions essentielles qu'on peut tous se poser, que tout parent se pose, que tout enseignant se pose. Hannah a trouvé sa propre réponse : « A la fiction de la peur et du terrorisme, je voudrais une révolution : une révolution par la douceur et par l'empathie. A plusieurs comme ça, on peut se réparer. »

On peut être dérouté par l'écriture du roman, les changements de style, de la prose classique à des passages en vers libres, mais il faut se laisser porter par le récit et les souvenirs d'Hannah....

 Un livre qui évoque aussi la difficulté de se construire entre deux cultures, s'émanciper de son histoire familiale sans la rejeter (« Comment se remettre doucement du mépris qu'on a eu pour une partie de soi »).
Un livre enfin plein de tendresse entre un père et sa fille et qu'on a envie de refermer sur les mots apaisants d'une mère : « ça va aller, ça va aller »....

Un grand merci aux éditions de l'aube et à Babelio.
Commenter  J’apprécie          180



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}