Tu peux rentrer chez toi

Notre mère, Gloria, était son infirmière, auxiliaire médicale, réceptionniste et comptable. Elle avait le don de calmer les enfants effrayés par la perspective d’une vaccination et savait remettre un bras cassé, réaliser un ECG et prendre des radios, développées dans une salle de bain qui faisait également office de chambre noire. En tant que médecin de campagne, mon père était d’astreinte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Un interrogateur peut obtenir pas mal de renseignements d’un suspect en lui proposant une clope ou en la lui refusant. Elle m’en tend une. Je l’accepte ; c’est la moindre des politesses.

Le stagiaire m’indique qu’on sera à moi dans une minute puis ferme la porte derrière lui. C’est comme quand on attend le docteur en salle d’examen : le moment idéal pour consulter sa boîte mail, envoyer des messages et piquer des pansements et des cotons-tiges. Sauf qu’ici, il n’y a rien à piquer ni à feuilleter.

Parfois, il vaut mieux passer pour folle quand on s’adresse à un fou. Ça nous met sur un pied d’égalité. McDermott promet de ne plus me déranger à moins d’avoir de meilleurs éléments pour s’incriminer. Il s’en va.

Elle sait parfaitement que toutes les nanas entrées dans la police après elle ont nettement moins d’obstacles à franchir. Chez les femmes fliques, cette conscience aboutit parfois à de la solidarité, parfois à du ressentiment.

Je souscris à la théorie selon laquelle les tueurs reviennent souvent sur le lieu de leur crime, se joignent aux badauds derrière la rubalise pour regarder le défilé des policiers, des scientifiques et du personnel médical. Ils aiment bien voir leur œuvre macabre transportée jusqu’à l’ambulance.

Mes yeux sont bleus et expressifs, mes pommettes assez saillantes pour faire de l’effet. On m’a dit que je ressemblais à Geena Davis ou à Victoria Beckham. Est-ce qu’on leur a dit qu’elles me ressemblaient ? J’ajouterai que je tiens de ma mère. J’ai ses yeux, son teint. Quand je me regarde dans la glace, elle me manque et ça me rend triste. J’ai tendance à éviter.

Un sourire n’est guère bienvenu dans les enterrements, les audiences disciplinaires ou les ruptures. En revanche, il peut désarmer quand je dis Vous êtes en état d’arrestation, Circulez, Montrez-moi votre permis de conduire ou, au cinéma : Vire ta main de mon genou.

Je suis venue au monde avec un léger sourire. Ça a tendance à déconcerter les gens. Un minuscule retroussement des lèvres qui me donne l’air perpétuellement heureuse, en contradiction avec mon âme mécontente de nature. Je me suis entendu dire à divers moments de ma vie, par des profs et autres supérieurs hiérarchiques fâchés : « Karim, effacez-moi ce sourire ! » Je ne peux pas.

Je ne me maquille pas. J’ai une relation sérieuse avec un homme, Bobby Booth (Bobby B), celui avec qui je couche quand nos agendas chargés nous le permettent – le mien en tant que flique, le sien en tant qu’usurier.