Comme beaucoup de lecteurs qui ont parlé de ce livre, je vais bien sûr aborder le problème des phrases négatives, mais avant, j'aimerais tout de même souligner que si cette récurrente omission avait été corrigée, ce bouquin aurait gagné en beauté. Parce qu'il faut bien le dire, stylistiquement parlant, j'ai trouvé des choses intéressantes dans
Viktor, des tentatives réussies dans la façon de dire les choses, une originalité dans l'intrigue, et une noirceur humaine qui dégouline à chaque page, ou presque. L'unique problème de l'écriture (mais non du bouquin) est l'absence bien trop répétitive du « ne » dans les phrases négatives, à la limite de la faute de français, du contresens ou du non-sens et qui donne un aspect brouillon à l'ensemble.
Ce qui n'est pas normal, c'est qu'un livre édité soit aussi bancal sur la forme, et je ne parlerai pas de la mise en page avec des sauts lignes manquants ; des majuscules oubliées en début de phrase et aux noms propres, de celle ajoutées en plein milieu d'une phrase sans raison ; ni de la ponctuation parfois oubliée ou indécise ; un point d'interrogation peut suivre un point sans souci : au moins, on laisse le choix au lecteur.
Au début, je pensais cette faute de la négation volontaire et utilisée uniquement avec le personnage principal,
Viktor, un tueur en série sur-intelligent qui gobe et assimile tout ce qu'il voit, lit, entend. Un prodige qui, normalement, aurait dû s'exprimer correctement. Mais admettons que ce manque de « ne » soit sa marque de fabrique ; un moyen de se rendre moins intelligent qu'il n'est en réalité, d'autant plus qu'effectivement, on apprend plus tard que
Viktor veut se faire passer pour plus bête qu'il n'est. Sauf que cette faute est généralisée, qu'elle s'applique à tous les personnages quel que soit leur niveau d'études ou classe sociale ; à la narration aussi bien à la première qu'à la troisième personne, ainsi qu'à tous les dialogues. En somme, l'erreur vient de l'auteur et aurait dû être corrigée, d'autant plus que certains « ne », dans certains cas, sont bien présents, rendant au texte l'élégance qu'il lui manque en l'absence de la négation. Cet élément m'a tellement perturbée que j'ai dû aller me rassurer auprès de l'Académie française à ce sujet, tant il y a de « ne » omis dans ce texte. Étais-je dans l'erreur en pensant que c'était une faute de français ? de toute évidence, non, et je ne suis pas la seule, vu les avis des lecteurs qui soulèvent le problème même lorsqu'ils ont aimé le livre, que ça a dérangée.
À ce sujet, l'Académie rappele que « le français use, dans les phrases négatives, de l'adverbe de négation “ne” qu'accompagnent pas, point, guère, jamais, etc. On néglige trop souvent de faire entendre l'adverbe ne, en faisant de pas l'unique marque de négation : Je veux pas, je sais pas. Cette habitude, répandue dans le langage parlé, est une véritable faute. »
Quel dommage que le texte n'ait pas eu l'attention qu'il méritait, car il y avait un fort potentiel et clairement,
Nicolas Elie tenait quelque chose.
Viktor est une histoire atypique qui donne l'opportunité au lecteur de romans policier et de thrillers, de passer de l'autre côté : celui du tueur en série. Plutôt que de vivre une enquête et de suivre les policiers,
Nicolas Elie nous plonge dans l'enfance, la vie, l'incarcération et les confidences d'un tueur en série, dont la source du mal trouve son explication dans son vécu. La psychologie du personnage est décortiquée,
Viktor est autopsié, le lecteur est invité à nager dans des eaux sombres, où la cruauté n'a d'égal que la dureté des faits.
Le procédé a déjà été fait, d'accord. La psychologue qui veut faire parler le tueur (et tombe amoureuse), mais qui en définitive expulse ses propres démons, on connaît. Mais ça marche. Ça marche parce que
Viktor est taillé pour une histoire et un rôle qui, irrémédiablement, nous rendent dépendant de la lecture. Certes, le personnage de la psychologue est parfois insupportable (mais j'avoue que les nanas qui tombent amoureuses en deux minutes et tous les quatre jours me gonflent particulièrement), mais au moins, elle a le don de faire parler notre
Viktor, et c'est ce qu'on veut : entrer dans la tête du tueur.
En un sens, c'est ce qu'on fait. Tellement que parfois, on culpabilise d'avoir de la compassion pour le tueur, du moins, du fait que son vécu ne nous laisse pas indifférent. On a presque honte de s'éprendre, de s'attacher, de comprendre même, pour finalement réaliser qu'on a beau saisir le tableau, on ne l'accepte pas, on ne pardonne pas. le lecteur est alors pris dans un étau, tiraillé entre des émotions et des sentiments contradictoires qui ne vont pas le lâcher de si tôt. On ressort alors particulièrement perdu, honteux d'avoir pris le temps d'écouter un tueur, mais en même temps, on aurait bien continué à l'écouter, ce type attachant.
Sauf que sur la longueur, ça n'a pas tenu. J'ai terminé le roman en diagonal car d'abord, j'en avais ras la casquette des phrases négatives, mais aussi de l'histoire dont le potentiel n'a, à mon avis, pas été totalement exploité. Bon et puis j'en ai aussi eu marre de la psychologue ridicule dans le rôle de l'amoureuse. En revanche, quel personnage que ce
Viktor et quelle prouesse d'avoir réussi à m'émouvoir autant via un personnage aussi mauvais et détestable, d'autant plus que le style et la psychologue ne m'ont pas du tout convaincue :
Viktor, lui, tire son épingle du jeu.
Il y avait du potentiel, certes, mais totalement gâché par le manque de corrections et le choix de l'auteur de retirer quasiment tous les « ne » des phrases négatives – vraiment, c'est dérangeant, pas esthétique et ça sonne très mal à l'oreille (et non, ça ne fait pas plus naturel ou jeune, ça fait juste plus moche). C'est dommage pour l'auteur, dommage pour le livre qui aurait mérité d'être corrigé par des personnes compétentes, mais surtout dommage pour le personnage principal noyé sous les défauts de ce roman. Dans tous les cas, si l'histoire a du potentiel, l'écriture, elle, est encore fragile.
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