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Critique de Wazlib


Bret Easton Ellis : Mendeleïev de la perdition.


Je ne décris plus la légende. Si vous suivez un tout petit peu mes critiques, vous savez déjà depuis un moment que Bret Easton Ellis. Et pour cet auteur, je suis un fanatique, ne remettant quasiment jamais en question ma foi. Car chacun de ses livres est une déflagration que je me prends sans sommation dans la tronche, et ceci à chaque relecture. Beigbeder, personnage autour duquel j'ai bien du mal à assumer un avis fixe, en parle d'ailleurs très bien, et il a dit une chose qui résume très bien mon point de vue sur l'oeuvre d'Ellis : il a « réveillé » la littérature.
C'est toujours une tâche extrêmement ardue de parler, et allons-y en se voilant la face, de « critiquer » un livre que l'on adore. C'est pourquoi je repousse toujours un peu plus ma relecture de « Lunar Park », chef-d'oeuvre parmi les chefs-d'oeuvres, meilleur roman de Bret et sans aucun doute à mes yeux, meilleur roman tout court. Et je vais tenter de ne pas me décevoir avec cette critique de « Zombies », livre qui a pour moi une certaine valeur sentimentale, car cela fait maintenant cinq ou six ans que je l'avais pioché par hasard sur les étals de Cultura, un été, et ce fut mon premier contact avec BEE...
Alors, si vous n'êtes pas habitués de l'auteur, juste quelques mots sur son oeuvre. Bret Easton Ellis parle encore et toujours de la même chose : une génération complètement perdue. Mais il le fait si bien et si précisément que c'est incontournable. Ses intrigues s'inscrivent dans les années 80, avec certains lieux de prédilection : Los Angeles (pour « Zombies » et « Moins que Zéro », ou encore la fac de Camden (pour « Les Lois de l'Attraction »). Ses personnages sont tous en phase terminale, et certains déjà « morts », d'une certaine façon : leur quotidien est standardisé, piochant entre la prise de Valium, de cocaïne, de repas aux restaurants chics ou de baises où ne règnent ni plaisir, ni salvation.
Il n'y a pas à proprement parler d'intrigues, puisqu'Ellis s'attachent à une description froide et minimaliste de ces êtres en perdition ou déjà perdu, ces espèces de poissons de profondeurs, baignant dans les ténèbres et n'évoluant plus que de manière anecdotique et hasardeuse. Cela a commencé avec « Moins que Zéro », où l'on suivait Clay de retour à Los Angeles pour les vacances de Noël. Un jeune homme ne souffrant plus, car ne ressentant plus : un jeune homme anesthésié au centre d'une chorégraphie malsaine où la vie et l'émotion semblent repoussés de lui et son existence, comme deux aimants de polarité inverse. Et le roman était noir, très noir. Sans espoir, asphyxiant.
« Les Lois de l'Attraction » ressemble bien plus à « Moins que Zéro » qu'à aucun autre de ses livres. On suit trois étudiants de Camden, qui déambulent dans cette sorte d'atmosphère ouatée où aucun agent extérieur ne peut interagir avec les personnages. Ils vont de soirée en soirée, baisent, fument des joints, boivent, se mentent à eux-mêmes dans de vaines tentatives de remonter à la surface.
« Zombies », qui nous intéresse aujourd'hui, est un roman composé de treize chapitres, suivant de manière éparse un été à Los Angeles. On peut également le voir comme un recueil de nouvelles, mais ce serait enlever le jeu étourdissant et hypnotique de Bret Easton Ellis, qui se plaît à chaque chapitre à nous perdre, utilisant des personnages déjà vus les histoires précédentes, ou des noms semblables, ou des références... On comprend bien vite qu'individualiser ces gens défoncés et blasés est une perte de temps, tant ils se ressemblent tous dans une existence sans but et identique.
Un autre versant de l'oeuvre d'Ellis, auquel j'adhère bien moins et que je connais moins, illustré par des livres comme « Glamorama » ou le très célèbre « American Psycho » offre une perspective plus imagée du propos d'Ellis. Je n'en parlerai pas, de peur de dire des conneries.
Et puis, la dernière étape, parfaite et transcendante : « Lunar Park », autobiographie fictive de l'auteur. Lire ses précédentes oeuvres me semble obligatoire, pour en apprécier pleinement la maestria. Je ne vais pas m'étaler là-dessus, je le critiquerai prochainement. Mais croyez-moi, c'est un livre exceptionnel.


Zombies : un vaste magma d'un présent désabusé, de substances chimiques et de désillusion.


Que dire de « Zombies », si maintenant vous avez perçu l'idée d'Ellis ? Ces treize histoires sont fantastiques. Elles vous ébranlent. On y parle de jeunes riches pour qui l'existence n'a plus rien à offrir. Ce sont des fantômes qui n'ont plus rien à hanter : ils se contentent d'interagir entre eux, sans jamais communiquer, dans des quotidiens pleins d'ennui et tristement protocolés : valium, cocaïne, MTV, baise, et pensées décousues. Je maintiens le propos que j'avais déjà proposé dans ma critique de « Moins que Zéro » : dans cet univers d'apparence où il n'y a rien d'important, tout n'est pas complètement sans vie. Et ces « zombies » dont parle Ellis ont parfois des soubresauts de vitalité, qu'ils se contentent alors de noyer sous un peu plus de drogue et de débauche.
Comme dans chaque bouquin d'Ellis, il y a toujours quelques phrases glissées ici et là qui à elles seules expliquent et libèrent le propos d'Ellis. C'est par exemple le vampire qui demande au psychiatre de désigner le point où tout disparait. Ce fameux point qui obsède Ellis. C'est Bruce qui dit que les animaux du zoo, enfermés et réduits à un leitmotiv d'action dérangeant, sont heureux. C'est cette jeune fille, atteinte d'un cancer incurable, qui parle de « rêve d'aveugle » en contemplant un coucher de soleil.
Les écrits d'Ellis sont si intelligents que j'ai du mal à vous en rendre compte. Il y a des centaines et des centaines de gens qui ne voient aucun, ou très peu d'intérêt à l'oeuvre de BEE. Et je les plains, car j'ai la conviction qu'ils passent à côté d'éléments de géni essentiels, primordiaux. Mais bon, tant pis. Après tout, j'adore défoncer Amélie Nothomb à la première occasion, on doit se dire pareil de moi.


Du vide, l'étincelle.


Comment finir un livre qui parle d'ennui, de vide et d'asepsie ? Je n'ai pas de réponse toute faite à cette question. L'intelligence du propos, bien sûr, mais une fois encore, il faut être patient avec Ellis, qui se permet des phrases sublimes une fois toutes les 50 pages.
Il y a aussi paradoxalement le style ultra-minimaliste de l'auteur. Car de cet enchaînement de phrases, de pensées complètement fragmentées, nait une véritable poésie. Et l'on constate alors la puissance de cet auteur, on comprend qu'écrire comme il le fait relève d'un talent infini. Personne ne parvient à faire ce qu'Ellis fait.

Bon, je ne vais pas m'appesantir plus longtemps sur « Zombies ». C'est une porte d'entrée fort convenable dans l'oeuvre de l'auteur, au même titre que « Les Lois de l'Attraction ». C'est peut-être difficile, mais une chose est définitivement certaine : Ellis dit la vérité. Et c'est cette vérité, maladive et obsédante, qui oblige le lecteur à se perdre dans ce périmètre de vide qu'est Los Angeles.
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