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Critique de Apoapo


Apoapo
20 décembre 2023
Ce premier roman de l'écrivaine nigériano-tamoule, présenté comme « profondément autobiographique », se prête à de multiples lectures. Pour ma part, étant un grand admirateur de l'ethnopsychiatrie de Tobie Nathan, j'y ai trouvé une excellente expression romanesque de ses explications des pathologies psychiatriques des migrants de différentes origines africaines qui évoluent dans une cosmologie selon laquelle les humains sont possédés par des esprits.
La naissance et la jeunesse de l'héroïne du roman, Ada, ont pour narrateur principal un « nous », les ogbanje, des divinités qui la dominent, pour le pire beaucoup plus souvent que pour le meilleur. À partir de l'accession à la sexualité, vécue par Ada de façon traumatique, l'une de ces obganje, dénommée Asughara par elle-même, prend le dessus sur les autres. Asughara est caractérisée par un goût immodéré pour la luxure, la cruauté et la perfidie, qui s'exerce autant à l'encontre d'Ada que de ses partenaires, des garçons eux-mêmes choisis de préférence parmi les plus maléfiques et violents. le récit conté par Asughara, qui forme la plus grande partie du roman, où très rarement la parole est laissée à la protagoniste, se compose donc majoritairement de scènes de stupres, de viols, de scarifications et autres tortures qu'Ada s'inflige, jusques et y compris une tentative de suicide opérée sous la domination de cet esprit malveillant. Les dialogues entre la Bête et la jeune fille révèlent l'ampleur de la manipulation dont cette dernière est la victime. La reconquête d'Ada par les autres obganje, suite à un véritable procès stalinien entre esprits dont un dénommé Saint Vincent, se solde par une mastectomie de la jeune femme qui s'inscrit dans ce qui ressemble à un début de transition vers le sexe masculin, laquelle laisse donc douter de la bienveillance de l'ensemble de l'aréopage des esprits... Cependant il faut noter que si cette cosmologie est uniquement paternelle-africaine, l'héritage religieux maternel existe aussi : il consiste dans une sorte de dévotion chrétienne – plutôt puritaine – conformément à laquelle le christ, alias Yshwa, fait également partie du conclave et assume un rôle d'antagoniste en particulier d'Asughara (cf. cit. 2 et 3).
La composante migrante de cette oeuvre se retrouve à la fois dans la biographie de l'autrice et dans le récit lui-même de multiples façons. En se limitant au roman, le personnage maternel, Saachi, originaire de Malaisie, « de l'autre côté de l'océan Indien », vit en continuelle migration : du Nigeria où elle quitte son époux (rencontré à Londres) et trois enfants, à l'Arabie saoudite, puis aux États-Unis où Ada grandit et où se déroule la plupart de l'action narrative. de plus, conformément à ce que l'on sait de l'ethnopsychiatrie, le début de la « guérison » d'Ada, son « Salut » dit « Nzoputa » (chap. XX-XXII), ou tout au moins sa quête spirituelle des racines de ses troubles (et des siennes propres) passe par un retour en Afrique : « Rentre à la maison, chantaient mes frèresoeurs. Rentre à la maison et nous ne te chercherons plus d'ennuis » (p. 251).
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