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Critique de YvesParis


Frédéric Encel est un jeune disciple d'Yves Lacoste. de sa thèse de doctorat, consacrée à la « Géopolitique de Jérusalem », il avait tiré un essai intelligent, publié en 1998 chez Flammarion. Il récidive, un an plus tard, avec un livre qui prend le prétexte d'une étude géopolitique du plateau du Golan pour analyser l'équilibre des forces au Moyen-Orient.

Le plateau du Golan, un petit territoire couvrant une superficie de 1 000 km² « soit à peine l'équivalent du département français du Val-d'Oise » (p. 25), est quasi désertique puisque seulement peuplé de 30 000 habitants. S'il est riche en eau (Frédéric Encel consacre d'ailleurs un chapitre à relativiser les ressources hydrauliques du Golan), son sous-sol ne contient ni pétrole ni matières précieuses. Il n'a jamais constitué un « passage obligé », ni un « carrefour ». La sacralité de ce petit territoire n'est en rien comparable à celle de la Ville Sainte ou des collines de Judée.

Pourtant, le plateau du Golan constitue l'un des plus hauts lieux géopolitiques du Moyen-Orient. Dans l'affrontement permanent auquel se sont livrés Israël et la Syrie depuis 1948, il n'a cessé d'occuper une place prépondérante. de 1948 à 1967, il constitue pour la Syrie un « bouclier offensif » : « depuis la crête dominant le lac de Tibériade et le Jourdain, les batteries syriennes, protégées par l'angle mort pouvaient aisément frapper n'importe quelle installation israélienne située en contrebas » (p. 29). En 1967, il est conquis en moins de vingt-quatre heures par les troupes israéliennes. Il devient, pour l'État hébreu, à moins de 50 km de la capitale syrienne visible à la jumelle depuis les contreforts du mont Hermon, un glacis. L'obstacle du Golan prive l'attaquant syrien d'un effet de surprise, tandis qu'il confère à Israël une certaine profondeur stratégique. L'offensive du Kippour en octobre 1973 l'a montré, le temps perdu par les chars syriens pour traverser le plateau golanique ayant permis à Tsahal de rappeler in extremis ses réservistes.

La deuxième partie du livre est consacrée à l'étude des « représentations » de ce territoire côté israélien puis coté syrien. le Golan, occupe dans l'imaginaire israélien, une place triplement spécifique. D'abord, son occupation (le Golan a été officiellement annexé à l'État d'Israël le 14 décembre 1981) ne soulève pas de problème moral. Il s'agit, à la différence de Gaza et de la Cisjordanie, d'un territoire quasi inhabité dont la conquête n'a porté préjudice aux droits de personne, sinon à ceux de la Syrie, adversaire honni pour son rejet de la démocratie, son soutien aux terroristes, son antisémitisme. Aussi, n'est-il pas surprenant que l'opinion publique, divisée sur la question de l'autonomie palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, soit unanime à rejeter l'option d'un retrait de ce territoire. Ensuite, les représentations israéliennes du Golan valorisent cet espace riche (d'eau, de lait et de vin) et pionnier. Dans un État exigu et densément peuplé, le Golan constitue une réserve d'espace naturel et montagneux (le « tourisme vert » y est devenu la première ressource économique). Enfin, et de façon plus polémique, le Golan a été inclus dans le périmètre d'Eretz Israël. de territoire géographique dont la cession peut se justifier pour des motifs tactiques, le Golan est élevé au statut de terre biblique dont l'abandon constituerait une violation de la Loi divine.

Côté syrien, nous dit Frédéric Encel, les représentations du Djôlan sont plus difficiles à cerner. L'annexion du plateau en 1967 constitue, avant toute chose, une nouvelle tentative de dépeçage de la Grande Syrie. Déjà en 1916, les promesses faites par les Britanniques au soutien de la révolte arabe contre l'empire ottoman n'avaient pas été tenues : la Grande Syrie avait été dépecée par les puissances mandataires, le Liban à l'ouest et la Palestine au sud échappant à Damas. En 1939, la France détache de la Syrie le sandjak d'Alexandrette qu'elle restitue à la Turquie. La perte du Golan en 1967 s'inscrit dans cette trop longue série d'humiliations nationales.

Selon Frédéric Encel, le Golan constitue le noeud des nouvelles alliances au Moyen-Orient. L'argument est hardi et ne se justifie guère que par le souhait de traiter, dans un même ouvrage, des équilibres régionaux au Moyen-Orient et d'un territoire, le Golan, objet de représentations contradictoires. On l'acceptera d'autant plus aisément que cette troisième partie du livre est réussie. L'auteur y dessine deux alliances contradictoires. D'un côté, l'axe États-Unis/Israël/Turquie s'est constamment renforcé en dépit à la fois des aléas de la politique intérieure israélienne et de l'accession au pouvoir, en Turquie, des forces islamistes du Refah de Necmettin Erbakan. L'alliance israélo-turque, dirigée contre la Syrie, ouvre à l'aviation israélienne l'espace aérien turc tandis qu'elle permet à la Turquie à la fois d'affaiblir la cause kurde (l'arrestation d'Abdullah Öcalan en février 1999, avec l'aide probable du Mossad, en constitue l'un des fruits) et d'accroître son crédit à Washington. Pour y faire face, la Syrie, l'Irak et l'Iran n'ont d'autres alternatives que de se rapprocher. Rivaux, voire ennemis hier, ils partagent aujourd'hui les mêmes intérêts : combattre le sionisme et, derrière Israël, l'impérialisme américain.

Ce face-à-face sera arbitré par trois États clefs. La Jordanie désertique et sous-peuplée « se trouve toujours [...] du côté du plus fort » (p. 186). En 1994, elle a signé la paix avec Israël. Elle y a gagné à la fois le soutien américain et la garantie de son intégrité territoriale de la part de son voisin israélien (une fois abandonnée l'option d'un État palestinien en Transjordanie). L'Égypte, confrontée à une opposition intérieure islamiste violente, perd la position privilégiée de médiateur qu'elle s'était arrogée, avec le soutien américain depuis les accords de Camp David. Enfin, l'Arabie Saoudite est divisée entre sa fidélité traditionnelle aux États-Unis et ses prétentions à exercer dans le monde musulman un rôle fédérateur.

Dans cet environnement géopolitique complexe, l'avenir du Golan n'est pas clair. Si le statu quo prévaut sans doute, c'est aussi qu'Israël et la Syrie y trouvent un intérêt identique : conserver un ennemi, une « ligne bleue des Vosges » pour renforcer la cohésion nationale. le pouvoir autocratique d'Assad y voit le moyen de pérenniser un règne despotique et sans partage. Israël évite ainsi de se poser la question de son identité autrement qu'à travers une atavique méfiance à l'égard des puissances arabes voisines. C'est la paix avec ses voisins plus encore que la guerre qui constitue, paradoxalement, pour la société juive, le principal défi. Marc Hillel écrivait en 1968 : « le plus mauvais service que pourraient rendre à Israël les États arabes serait de faire la paix avec lui » ("Israël en danger de paix", Fayard, 1968, p. 321). Ces paroles sont toujours d'actualité.
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