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Critique de Chahrazed11


Avant tout, je remercie l'équipe Babelio et les éditions Albin Michel, à travers une Masse critique privilégiée, de m'avoir permis de découvrir un point de vue différent sur un sujet (« la migration ») qui m'intéresse pour plus d'une raison. Je les remercie également de m'avoir présenté un écrivain, Davide Enia que je ne connaissais pas et qui a su faire d'une réalité observée et écoutée sur le terrain d'une tragédie, un récit essentiel pour prendre de la distance lorsqu'on est soi-même en quelque sorte venue d'ailleurs.
Le 3 octobre 2013, plus de cinq cent personnes se déplaçaient sur un bateau qui a pris feu près des côtes de Lampedusa. Cinquante-cinq survivants. Trois cent soixante-huit cadavres repêchés en mer. « Les images de ces corps sans vie flottant sur la mer furent montrées par tous les médias du monde ». Mais c'est dans le vide du silence interrompu par la mort et loin de l'image et des statistiques qui ont remplacé la parole, la chair et l'os qu'un passant, Enia Davide, mi écrivain, mi journaliste a fait irruption pour construire son récit bouleversant sur le destin tragique d'une île, de ses habitants et des personnages principaux de la tragédie lampédusienne (migrants, plongeurs, travailleurs sociaux, garde côte…) qui sont confrontés à des cadavres qu'ils n'ont pas eu le temps de sauver. Ces corps nus, ce reste d'une jeunesse majoritairement africaine qui a choisi ou a été contrainte de mourir pour partir est le reste d'une jeunesse qui alimente les trafiquants d'êtres humains en prenant le risque d'être torturée, violée et dévorée par les poissons de la « Mère Méditerranée » au lieu d'être résolument et convenablement dévorée par les guerres, la corruption, les injustices et finalement, les insectes affamés du pays natal.
En faisant le parallèle entre la garde côtière et la garde médicale, l'auteur a pu démontrer le courage qu'il faut avoir pour lutter contre la mort de l'autre. Or, si le médecin a tout un dossier médical ainsi que le cercle familial de celui qu'il n'a pas pu sauver, le plongeur ou le travailleur social est confronté à un cadavre qu'il n'a pas sauvé et dont il ne sait rien. Tout ce qu'il sait, c'est que c'est un « Immigré non identifié, de sexe masculin, ethnie africaine, couleur noire. ». Et pour le définir convenablement, il n'y a pas d'autre possibilité que celle d'inscrire les circonstances de la découverte du corps et de sa mort. Ainsi, ce récit pose la question de la mémoire d'un cadavre pêché loin des siens, sans nom, sans pays d'origine, ni âge.
Pour finir, ce livre que j'ai lu en Europe, en partie dans une plage sauvage, au bord de la mer Méditerranée (Les Aresquiers) a terriblement bouleversé mon rapport à la mer, à la mort. A la lecture des récits déchirants des acteurs de la migration que l'auteur a rencontrée, je me suis rendue compte que cette mer qui me permet ici et maintenant, de l'autre côté de la Méditerranée, de me détendre était en même temps une mer qui tue, une mer qui produit des cadavres sans fin. Malgré ce constat culpabilisant mais soutenu par mon impuissance, je continue, avec la canicule, de m'y baigner en me posant toujours les mêmes questions sur la migraine de la migration: qui sont les véritables responsables de cette tragédie migratoire qui dure depuis plus de 25 ans? L'Europe, les gouvernements corrompus des pays d'origine, les trafiquants d'êtres humains ou les migrants eux-mêmes du fait qu'ils ont survécu aux massacres dans le désert, aux viols, à la mort, bref, à La Loi de la mer?
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